L’observation de la carte de France de l’implantation du FN, à la suite des élections européennes de mai 2014, appelle des recherches à l’échelle infra-départementale, voire communale ou infra-communale. Le présent article représente à cet égard un premier essai pour mesurer, à l’échelle du département du Maine-et-Loire, un phénomène qui s’accentue depuis 2012 : la progression du FN en dehors des territoires urbanisés, et son recul relatif dans les agglomérations.
L’exemple choisi ajoute à ce phénomène une autre dimension qui doit retenir l’attention : la progression du FN semble tout particulièrement forte dans les territoires péri-urbains qui rassemblent une population authentiquement rurale et une population croissante travaillant en ville, et sujette aux migrations pendulaires. Outre cette population mixte, les données INSEE montrent que ces territoires sont en très fortes extension spatiale et croissance démographique, et que leur population comprend une proportion importante de ménages jeunes avec enfants. Leur poids politique et électoral, discret lors d’élections locales du fait de la fragmentation du territoire en communes de petite taille, est appelé à grandir lors des élections nationales.
Ce travail est la première ébauche d’un travail de recherche plus systématique qui visera à affiner ce constat de démographie électorale. De notre point de vue, la compréhension des phénomènes en jeu appellera des études poussées, mettant en jeu d’autres données économiques et sociales : la composition des ménages, les types d’emploi occupés, le niveau de revenu, la distance par rapport au lieu de travail, les types d’habitat ou encore la diversité sociale sur le lieu de résidence. Il est temps de comprendre ce qui se passe dans les marges de la France urbaine.
À noter que la question du vote FN dans les territoires péri-urbains et ruraux a déjà fait l’objet de plusieurs travaux, notamment dans Le sens des cartes. Analyse sur la géographie des votes à la présidentielle, une publication de Jérôme Fourquet pour la Fondation Jean-Jaurès après l’élection présidentielle de 2012, ainsi qu’un chapitre du live Le mystère français d’Emmanuel Todd et Hervé Le Bras. Jacques Lévy estime avoir identifié un modèle explicatif basé sur le gradient d’urbanité, une notion basée sur la densité et la diversité de la population. Selon lui, le vote FN croît de manière générale en fonction de l’espacement par rapport aux centres des métropoles. Éric Charmes met en évidence, dans la zone péri-urbaine, l’existence de pôles distincts, où le vote FN est particulièrement élevé, et d’autres espaces où cela ne se vérifie pas. Comme Antonin Sabot, il insiste sur des facteurs sociaux, plus que spatiaux, pour expliquer la croissance de l’extrême-droite dans les périphéries. Sabot a en particulier théorisé la notion de « péri-urbain choisi », versus «péri-urbain subi».
Introduction. Pourquoi commencer une étude territoriale du vote FN par le Maine-et-Loire ?
Le département cumule plusieurs caractéristiques intéressantes que nous pouvons résumer en quelques chiffres :
- Il est un département de taille moyenne, rassemblant environ 1,2% du corps électoral français.
- Il fait partie de cette France de l’Ouest dans laquelle le FN, toujours au-dessous de ses moyennes nationales, atteint pour la première fois en 2014 des scores importants, proches de 20% des voix en moyenne.
- Il est très fortement polarisé par une aire urbaine centrale (Angers) qui représente aujourd’hui près de la moitié de la population, et qui est très représentative de l’étalement urbain et périurbain qui domine de plus en plus le territoire français, dessinant des cercles concentriques. L’aire urbaine d’Angers rassemble ainsi un nombre de communes en croissance rapide. Au nombre de 133 selon le dernier découpage INSEE, ces communes rassemblent 49,7% des électeurs inscrits en 2014. En 1999, elles n’étaient que 89 (43,2% des électeurs départementaux). Seules 34 de ces communes (1) font partie de l’intercommunalité Angers-Loire-Métropole (32,7% des électeurs départementaux). À peine 10 communes urbaines composent l’unité urbaine d’Angers (25,4% des électeurs départementaux).
- Comme les sections 2 et 3 le démontrent, le Maine-et-Loire incarne des dynamiques de différenciations territoriales qui embrassent celles de l’étalement périurbain. Elles répètent, au niveau d’un département, un phénomène qu’on peut observer « à l’œil nu » sur une carte de France, en étudiant les évolutions du vote FN à l’échelle du bassin parisien, en comparant Paris, la petite couronne, la grande couronne et les départements limitrophes de l’Ile-de-France.
Ce sont donc ces ensembles territoriaux et démographiques qui seront comparés dans cette note : la commune centre, les 9 communes urbaines de la « première couronne » (partie banlieue de l’unité urbaine), les 24 communes de la « deuxième couronne » qui complètent le territoire de l’intercommunalité, les 55 communes de la « troisième couronne » qui complètent le territoire de l’aire urbaine dans sa définition INSEE de 1999, et enfin les 44 communes de la « quatrième couronne », dans lesquelles la proportion d’habitants travaillant dans l’agglomération angevine a suffisamment augmenté ces dernières années pour qu’elles deviennent membre de l’aire urbaine dans la dernière définition INSEE (2010).
Un département où le vote FN a constamment été inférieur à la moyenne
Depuis l’apparition du vote FN dans les années 1980, le Maine-et-Loire s’est toujours caractérisé par une nette faiblesse de ce parti, comparé à la moyenne nationale française. En cela, il ne diffère pas du reste de la France. Tout au plus a-t-on constaté ces dernières années une plus grande perméabilité des communes rurales de l’est du département au vote frontiste. Cette partie du département est limitrophe du bassin parisien où le FN a largement augmenté ces scores ces dernières années.
En 2002, année de comparaison choisie pour cette note, le score de Jean-Marie-Le Pen au premier tour atteignait 11,67%, soit 5,19 points de moins qu’au niveau national (16,86%). De plus, les résultats du candidat d’extrême-droite, s’ils étaient clairement moins élevés au cœur de l’aire urbaine angevine, connaissaient une progression lisse et asymptotique au fur et à mesure que la distance par rapport à la Ville d’Angers augmentait. Ainsi Jean-Marie Le Pen obtenait :
- 9,60% à Angers ville ;
- 10,10% dans les communes de banlieue ;
- 10,69% dans les autres communes de l’intercommunalité ;
- 12,14% dans les autres communes de l’aire urbaine (définition INSEE 1999) ;
- À cette date, la définition de l’aire urbaine de 2010 n’était pas constituée d’un point de vue démographique. Politiquement, il est significatif que les résultats de Jean-Marie Le Pen étaient quasiment identiques dans les communes qui allaient rejoindre cette aire urbaine ultérieurement (12,48%) et dans le reste du département (12,55%).
Quelle que soit la zone considérée, l’écart à la moyenne nationale restait supérieur à 4,3 points, pour culminer à 7,26 points à Angers.
La progression du FN. Des dynamiques de différenciation territoriale polarisée par la métropole angevine
Le premier constat qui ressort de l’étude plaide pour une progression assez linéaire du vote FN. Si les listes FN atteignent le score record de 19,31% en 2014, ce score, impressionnant dans le contexte de l’Ouest français, reste 5,54 points en deçà du score national du parti. En d’autres termes, le FN progresse dans l’Ouest, dans la mesure où son succès est indéniable à l’échelle nationale, mais cette partie du pays, Maine-et-Loire y compris, lui reste comparativement aussi peu favorable qu’auparavant. En l’espèce, l’écart à la moyenne national s’est même légèrement accru, quoique dans une proportion peu significative (0,35 point de pourcentage).
Pourtant, derrière ce résultat départemental global, les changements sont nombreux. Le centre urbain de l’aire urbaine angevine reste la zone la plus rétive au FN. Au-delà de ce constat, les évolutions connaissent une différenciation très forte. Les écarts internes au département se sont considérablement accrus, et le modèle d’une progression asymptotique du vote FN depuis le centre jusqu’à la périphérie départementale ne fonctionne plus. Les données de la progression du FN peuvent être résumées dans les points suivants :
- Dans la ville centre, le vote FN n’a progressé « que » de 3,19 points, et s’établit désormais à plus de 12 points au-dessous de la moyenne nationale (contre 7,26 points 12 ans auparavant) ;
- Dans les 9 autres communes urbaines de l’agglomération, le vote FN a progressé de 5,13 points, et est désormais inférieur à la moyenne nationale de 9,62 points (contre 6,76 en 2002) ;
- Dans les 24 autres communes de l’intercommunalité, la progression du FN est plus sensible, mais l’écart à la moyenne nationale, de 6,9 points, reste très légèrement supérieur à ce qui était observé en 2002 ;
- En revanche, dans les 55 communes périphériques de l’aire urbaine (définition 1999), le vote FN a augmenté plus vite que la moyenne nationale, pour s’établir à 20,54%, seulement 4,31 points en retrait par rapport au résultat national. L’écart s’est réduit de 0,4 point ;
- Dans la partie du territoire départemental qui ne fait pas partie de l’aire urbaine (ni en 1999, ni en 2010), la tendance est la même : l’écart à la moyenne nationale s’est réduit de 1,19 point ;
- C’est dans les 44 communes périphériques qui se sont rajoutées à l’aire urbaine entre 1999 et 2010 que la progression du FN est la plus forte (+ 11,06 points). En 2002, leur situation était presque exactement la même que celle des communes hors aire urbaine. 12 ans plus tard, le FN a presque annulé l’écart à la moyenne nationale. Il y atteint désormais 23,57%.
Au total, on constate donc un double mouvement. Premièrement, les écarts de comportement électoral entre le centre urbain d’Angers, d’une part, et la périphérie départementale, d’autre part, ont considérablement augmenté. De l’ordre de 3 points en 2002, il atteint aujourd’hui 9 points. Les environs immédiats d’Angers (banlieue), dans une moindre mesure que la ville centre, résistent également à la progression frontiste. Deuxièmement, le FN se constitue des zones de force, ce qui est une nouveauté. En 2002, son score restait globalement homogène à l’extérieur de l’aire urbaine. Désormais, il progresse rapidement et rejoint sa moyenne nationale aux marges de cette aire urbaine (dans certaines petites communes, il obtient plus de 30% des voix), dans un territoire caractérisé par un accroissement de migrations pendulaires particulièrement rapide.
Analyser les polarisations territoriales pour comprendre la dynamique FN
Comme annoncé en introduction, les conclusions obtenues par l’étude du vote FN à l’échelle du Maine-et-Loire et d’Angers ressemblent aux observations que tout observateur peut faire « à l’œil nu » à l’échelle du bassin parisien et de Paris, pour peu qu’il compare des cartes électorales du pays divisé par départements (en 2002 et 2014). Il serait souhaitable de répéter l’expérience à l’échelle de nombreuses autres régions polarisées par une agglomération-capitale, pour vérifier si les mêmes dynamiques centre-périphérie s’observent dans des contextes marqués par des situations initiales différentes du point de vue du vote FN.
Dès lors que ces dynamiques se répètent systématiquement ou quasi-systématiquement, il deviendra nécessaire de croiser les données électorales avec d’autres données statistiques, dont notamment :
- La composition des ménages ;
- Les types d’emploi occupés ;
- Le niveau de revenu ;
- La distance par rapport au lieu de travail ;
- Les types d’habitat ;
- La diversité sociale sur le lieu de résidence.
La périphérie de la France urbaine est le lieu d’une progression fulgurante de l’extrême-droite. Elle est constituée de zones de forte croissance démographique qui s’étalent de plus en plus largement dans l’espace français.
De larges segments de la classe moyenne française y élisent domicile, par choix ou sous la contrainte de facteurs tels que les prix de l’immobilier dans les centres urbains. Ils continuent à vivre au rythme et dans la dépendance de centres urbains dont ils sont pourtant de plus en plus éloignés. Ces populations nouvelles modifient rapidement la composition de la population et cohabitent avec des résidents « vrais ruraux » installés depuis plus longtemps.
Il est grand temps de comprendre ce qui se passe dans ces marges de la France urbaine !
Notes
1 – En ajoutant Juigné-sur-Loire, commune urbaine, aux 33 communes membres de l’intercommunalité.
Annexes
Définitions INSEE
Unité urbaine : ensemble de communes appartenant au même pôle urbain, caractérisées par une urbanisation continue.
Aire urbaine : ensemble d’une unité urbaine et des communes rurales ou urbaines isolées environnantes dont plus de 40% des actifs occupés travaillent dans l’unité urbaine centrale, et se caractérisent donc par des migrations pendulaires.
Méthodologie
Le choix de prendre l’élection de 2002 comme point de comparaison a été motivé par le fait que cette élection se caractérise à la fois par un résultat élevé du FN, et par son positionnement chronologique immédiatement postérieur au zonage INSEE (1999) précédant le zonage actuel des aires urbaines (2010).