Explorer les parallélismes entre les États généraux du PS et le projet « Sociétés progressistes au 21ème siècle » du PSE pour nourrir le débat sur la relation du PS au projet européen

Les États généraux lancés lors de l’Université d’été à la Rochelle, fin août 2014, tombent à pic. Le Parti socialiste (PS) est dans son rôle en lançant cette consultation. Certes, plusieurs défis pourraient se profiler tels que l’agenda serré, le marasme ambiant ou encore le risque de défouloir. Mais le PS se doit d’en faire une réussite. Ce processus offre notamment une fenêtre d’opportunité pour repenser le rapport du PS au projet européen et inscrire le parti dans une vision authentiquement européenne. C’est même sur ce point que le PS pourrait avancer le plus lors de ces États généraux. Deux objectifs des États généraux renvoient à la dimension européenne : premièrement, apporter des réponses aux mutations historiques, parmi lesquelles la globalisation des échanges ; et, deuxièmement, redonner de la force à l’idée de progrès en s’appuyant sur l’idée européenne et l’idée républicaine.

Le travail entrepris au Parti socialiste européen (PSE) entre 2010 et 2013, ayant abouti à la Déclaration de principes et au Programme fondamental, offre un point de départ et bien des éléments de comparaison qui peuvent nourrir le travail dans lequel s’est engagé le PS. Sur le fond, le PS a contribué au processus du PSE à travers la participation aux groupes de travail, mais aussi par la voix de ses militants également engagés comme activistes du PSE. Sur la forme, la comparaison des deux processus peut apporter un éclairage à la démarche entreprise par le PS. Aujourd’hui, il est possible de tracer un certain parallèle entre un PS composé de courants et les différentes tendances de la gauche de gouvernement au sein du PSE. En s’appuyant sur le travail entrepris au sein du PSE, il est envisageable de proposer un cadre d’analyse des objectifs du PS pour ses États généraux et une véritable prise en compte de la dimension européenne dans la charte d’identité du PS. Au-delà de l’ambition de développer des idées nouvelles pour répondre aux grands bouleversements de notre temps, c’est aussi en inscrivant le PS dans une dynamique européenne que la Charte d’identité peut aussi être novatrice.

Comparaison des deux démarches  pour apporter un éclairage sur les objectifs des États généraux

Lors du Conseil du PSE du 26 novembre 2011, le président Poul Nyrup Rasmussen salua l’adoption de la première Déclaration de principes du PSE. Il souligna que le PSE avait dorénavant sa carte d’identité. De même, les États généraux aboutiront à l’adoption d’une Charte d’identité du PS. Au-delà du vocabulaire, les deux démarches sont comparables parce qu’elles répondent à une même volonté de trouver l’unité dans les valeurs et de se rassembler dans la discussion.

L’objectif de documents comme la Déclaration de principes du PSE ou la Charte d’identité du PS, c’est de se projeter dans l’avenir à partir d’une réaffirmation des valeurs du mouvement, mais en les insérant dans le contexte des défis d’aujourd’hui. Ils sont l’aboutissement d’un processus de réflexion politique qui découle du constat suivant : face à une défaite politique, une  modification des moyens à mettre en œuvre ne sera pas suffisante pour apporter des réponses aux défis de notre époque. Il y a un besoin de comprendre en profondeur les raisons de la défaite et de se réinventer avec l’idée se projeter sur le long terme. Pour y parvenir, le PS propose de réaffirmer ses valeurs, de bien comprendre les défis auxquels fait face la société française aujourd’hui et d’articuler des solutions pour y apporter des réponses concrètes. Le PSE a lancé son processus à la suite de la défaite électorale des européennes de 2009. Le PS sort de plusieurs revers électoraux.

Mais ces démarches servent également la vie interne d’un parti. Ce sont des processus de consolidation du parti en ce qu’ils dynamisent la discussion interne et lient consultation, contributions d’experts et de militants par la voie non statutaire pour aboutir à une adoption par voie statutaire.

En ceci, Solférino est pleinement dans le rôle qui est le sien. On peut ajouter que, dans un contexte où la perception par les Français, et même par les militants, d’un manque de clarté sur les orientations du PS au gouvernement tend à remettre en cause les fondements même du parti, c’est un exercice des plus pertinents. Rassembler autour de la discussion de ce qui fait l’essence du parti : voilà un projet des plus opportuns pour le PS.

Pour que la démarche soit un vecteur de rassemblement, il faut d’abord qu’elle soit réellement participative, notamment pour les militants. Il faut que soit clarifiée la manière dont chacun peut contribuer au débat et par quelle voie sa contribution sera prise en compte dans le document final. L’agenda adopté par le Conseil national du PS laisse transparaître qu’il en sera bien ainsi. Ensuite, il faut permettre à des idées indépendantes de faire leur chemin dans le débat. Là encore, le projet des auditions paraît remplir cette condition préalable.

Toutefois, il existe une certaine ambiguïté dans la finalité des États généraux. S’agit-il de réitérer les valeurs et principes du PS ou d’un document de vision générale qui articule des propositions concrètes en réponse aux grands défis contemporains ? Les thématiques du débat des États généraux tendent à faire penser que c’est de la seconde option qu’il s’agit. Par contre, une Charte d’identité tend vers la première option.

Le PSE a séparé les valeurs et les principes, inscrits dans la Déclaration de principes, des réponses aux grands défis, articulés dans le Programme fondamental. Les partis membres du PSE se retrouvent sur les valeurs. Le travaillisme hérité de la Troisième voie britannique et le socialisme du sud de l’Europe a priori si différents, n’ont eu que très peu de divergences sur les valeurs, les principes et les grands objectifs politiques à moyens termes. Il n’y a pas eu non plus de désaccords majeurs sur les grands défis. C’est dans les moyens à mettre en œuvre et dans l’identification des ennemis à combattre que les divergences apparaissent, parfois de façon tranchante. Un certain parallèle est possible entre le PS, composé de ses courants, et les différentes tendances politiques des partis nationaux au sein du PSE : c’est dans la méthode et les moyens à mettre en œuvre pour remplir les objectifs politiques que les tensions apparaissent, et non pas sur le socle de valeurs.

Pour une réflexion sur le projet politique européen

Dans l’introduction aux États généraux, le Premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, souligne qu’ « il faut partir des grands bouleversements ». L’analyse effectuée pour impulser les débats des États généraux fait souvent échos à celle qui fut à l’origine des propositions articulées dans le programme fondamental du PSE : croissance des inégalités, mutation historique avec la globalisation des échanges commerciaux et financiers, l’accélération sociale et l’innovation technologique, les conséquences de la crise économique et sociale, etc.

Le Programme fondamental du PSE a développé sa réflexion sur deux points en particuliers. D’une part, la lutte contre la croissance des inégalités fut identifiée comme le phénomène central à combattre. Le travail de recherche de la Fondation européenne d’études progressistes (FEPS) sur l’économie des inégalités a nourri les travaux du groupe en charge de la rédaction du Programme fondamental, notamment les liens entre la croissance des inégalités dans la distribution des richesses, l’endettement des ménages et la crise financière (1). Les inégalités sont multiples. Au delà d’une inégalité croissante dans la distribution des ressources, les innovations technologiques qui s’accompagnent d’une forme d’accélération sociale économique, ont engendré des formes d’inégalités sur le marché de l’emploi et de plus en plus sur l’accès à une information et une formation de qualité. D’autre part, le « bien-vivre », notion qui fait sa première apparition dans le Programme fondamental du PSE, est l’autre constante qui sous-tend les objectifs politiques énoncés dans le document.

Autour de trois grands axes qui se déclinent par des mesures plus spécifiques, le Programme fondamental définit les objectifs politiques de la famille socialiste européenne à la fois pour combattre les inégalités croissantes et pour soutenir la notion de bien-vivre : une nouvelle économie politique, la justice sociale pour tous en Europe à travers un Pacte social européen et le façonnement l’Union européenne pour en faire une Union de la solidarité.

Une nouvelle économie politique se fonde sur une intégration plus forte pour construire une Union politique et économique qui puisse garantir un contrôle démocratique sur les processus de décisions économiques. La gouvernance économique de l’Union européenne doit être un outil qui se fonde dans un processus de délibération démocratique à tous les niveaux de gouvernement. La gouvernance économique doit se pencher à la fois sur des principes budgétaires et d’économie de marché et sur les droits sociaux. La stabilité des prix ne peut pas être l’unique objectif de la BCE. Le niveau de l’emploi ainsi que la croissance économique doivent également faire parti de son mandat. Enfin, un plan d’investissement communautaire dans la recherche, l’innovation, les infrastructures et le potentiel humain au travers la formation et l’enseignement est préconisé.

Deuxièmement, une Union sociale doit exister aux côtés de l’Union politique et économique. Elle se décline au travers d’objectifs chiffrés de progression sociale en matière d’emploi, de formation, d’innovation et de cohésion sociale, et établis de façon concertée avec les États membres, les partenaires sociaux et les institutions européennes, y compris le Parlement européen.

Enfin, construire une Union de la solidarité repose sur le principe qu’une Union renforcée sur le plan économique, social et de la cohésion territoriale sera d’autant plus forte vis-à-vis du reste du monde. Une coopération et une coordination renforcées entre les régions européennes permettra de surmonter les déséquilibres macroéconomiques au sein de l’Union monétaire et de garantir l’investissement nécessaire pour assurer une croissance durable. Les mécanismes de sanction doivent être complétés par des mesures de solidarité.

Si les propositions du Programme fondamental du PSE peuvent paraître généralistes, elles ont le mérite de baliser le travail sur une réorientation de l’Union européenne. Cette phrase énoncée dans la Déclaration de principes du PSE constitue un point de départ pour dessiner l’avenir progressiste du projet politique européen : « Il ne peut y avoir de décision politique sans contrôle démocratique, pas d’Union économique sans Union sociale, pas d’Union sociale sans un budget commun en faveur de l’investissement et de la réduction des inégalités. »

Intégration verticale de la pratique politique du PS dans la politique européenne

Au-delà de l’analyse et de l’articulation d’objectifs politiques, ces États généraux sont l’occasion d’explorer le question de comment développer une intégration verticale de la pratique politique du PS dans la politique européenne. Une deuxième phrase extraite de la Déclaration de principes du PSE renvoie au principe d’intégration des niveaux d’action politique : « Pour mettre en œuvre nos principes d’action dans un monde d’inter-connections sociales, économiques et culturelles, nous avons besoin de nouvelles politiques progressistes alliant les échelons local, régional, national et européen pour regagner le contrôle démocratique. » Il est essentiel de tirer les conséquences d’une telle affirmation pour le rôle du PS au niveau politique européen.

Au lendemain des élections européennes de 2014, la gauche est loin de bénéficier d’une position de force au sein des institutions européennes. Ceci n’est pas une nouveauté. Depuis 1981, ce n’est arrivé qu’une seule fois que la Commission européenne ait une majorité de commissaires issus de la famille PSE. Il en va de même pour le Conseil européen. En 1999, la gauche est majoritaire au sein de la Commission européenne (57,9%) et au sein du Conseil européen (62,1 %), mais pas au parlement européen (43 %) (2). Après les élections de 2004, l’aile des conservateurs-libéraux représente 77,8 % à la Commission européenne, 72,4% au Conseil européen et 48,5 % au Parlement européen (la gauche, soit le PSE, les Verts et la GUE : 38, 6 %). En 2010, 77,8 % pour l’aile des conservateurs-libéraux à la Commission européenne, 62,6 % au Conseil européen et 54,7 % au Parlement européen (PSE, Verts et GUE : 37,1 %). Ces chiffres traduisent l’écrasante responsabilité de la droite européenne dans l’échec des politiques de gestion de la crise. Mais ils traduisent également la nécessité pour la gauche européenne de se mobiliser et de s’organiser pour reconquérir une position majoritaire au niveau de l’UE.

Le terrain que la gauche n’occupe pas à Bruxelles, c’est la droite qui l’investit. Le PS doit donc repenser son propre rapport à l’échelon politique européen. Une intégration verticale et sociologique de la pratique politique est une réponse au problème intrinsèque de l’éloignement de l’échelon européen. Celle-ci passe par une multiplication des échanges entre les parlementaires nationaux et européens, par une valorisation au niveau national du travail des députés européens et une meilleure intégration des différents réseaux d’élus à tous les échelons.

C’est peut-être aussi grâce à une systématisation de l’initiative de la Délégation socialiste française au sein du Parlement européen qui a organisé la visite à Bruxelles des secrétaires fédéraux à l’Europe. On peut également envisager de déplacer à Bruxelles un représentant permanent du groupe socialiste à l’Assemblée nationale. C’est aussi faire un usage plus optimal des réseaux basés à Bruxelles. Enfin, c’est l’implication du PS au sein du PSE, car en 2015 aura lieu un autre congrès, celui du PSE. Il pourra avoir son importance pour impulser le travail de la famille PSE en vue de 2019, comme ce fut le cas lors du congrès du PSE post-électoral de 2009 où la décision de lancer un processus pour la sélection d’un candidat unique à la présidence de la Commission européenne fut actée.

Enfin, il s’agit pour le PS de s’apprivoiser et d’investir le sujet européen dans toute son ambiguïté. À l’heure où les forces politiques populistes et xénophobes rejettent l’idée européenne, et face au ticket perdant qu’est le sujet européen dans une campagne, il s’agit de faire le travail pour pouvoir parler d’Europe et ne pas laisser au Front national un boulevard pour occuper ce terrain au niveau local et national. Cela veut dire investir les espaces médiatiques existants et encourager les citoyens et militants à faire usage des outils à leur disposition tels que VoteWatch. C’est se tourner vers l’action pour surmonter le discours défensif et simpliste. Que ce soit l’europhile zélé ou l’eurosceptique, tous deux portent un regard manichéen sur l’Union européenne.

*

La volonté de se réinventer passe aussi par refonder le rapport du PS à l’échelon politique européen. Cela implique, d’une part, de dessiner les contours de l’avenir du projet politique européen en partant d’une analyse fine des grands bouleversements. Le travail de réflexion du PSE, achevé il y a un an, offre un point de départ. D’autre part, le PS doit accompagner et stimuler l’émergence d’un véritable espace politique européen en investissant l’échelon politique européen de façon systématique. Dans un contexte où l’intergouvernemental prévaut, il s’agit de pas négliger les plates-formes de collaboration et les forums pour la coordination de messages communs au niveau supranational tels que le PSE.

Notes

1 – Rémi Bazillier, « Equality must be the Core of Economic Policies. Propositions for Equality and Efficiency », in Ernst Stetter, Karl Duffer, and Ania Skrzypek, For a New Social Deal, Brussels, FEPS, Next Left Books series, vol. 6, 2013, p. 102-133.

2 – « Union européenne : Évolution des forces politiques au cours de 35 dernières années », présentation de Frank Sy, Section SPD de Bruxelles, 16 Novembre 2013, Université d’automne de la section Bruxelles du Parti Socialiste français.

Cleo Davies

Après des études d’histoire et de politiques publiques comparées en Politique de la Ville à Paris et Berlin, Cléo travaille depuis près de 5 ans au niveau européen. En tant que conseillère politique au Parti Socialiste Européen, Cléo a coordonné le processus de réflexion politique « Sociétés Progressistes au 21ème siècle » au sein du PSE, qui a abouti à l’adoption de la Déclaration de principes et le Programme fondamental du PSE. Depuis début 2014, Cléo est en charge des relations avec les institutions européennes et les élus au sein de Polis, un réseau de villes et de collectivités territoriales en charge de la mobilité urbaine.