Analyse des forces social-démocrates en Europe : focus sur les travaillistes néerlandais.
Sébastien Poupon
Secrétaire Fédéral à l’Europe et à l’international au Parti socialiste français, et militant du PSE
Si on analyse la situation des forces social-démocrates en Europe, les travaillistes néerlandais constituent un cas d’étude particulièrement intéressant. Non seulement parce que Franz Timmermans, le « Spitzenkandidat » du Parti Socialiste Européen (PSE) à la Présidence de la Commission, est issu de ce parti mais d’abord et avant tout parce que la situation du PvdA (« Parti du Travail ») est particulièrement représentative d’une certaine destinée commune à tous les partis sociaux- démocrates ayant été « junior partner » d’un ou plusieurs partis de droite au sein d’une coalition gouvernementale. L’Allemagne est certainement l’exemple le plus parlant. On pourrait également citer le SDP finlandais, en tête dans les sondages maintenant qu’il est dans l’opposition alors qu’il était sorti très affaibli en 2015 suite à 4 années difficiles dans un gouvernement dirigé par les conservateurs.
Lors des législatives de 2012, le PvdA a obtenu près de 25% des suffrages, un score tout à fait honorable mais insuffisant pour devancer les libéraux du VVD (droite libérale, affilié à l’ALDE). Ces derniers avaient donc la main pour former un nouveau gouvernement et très vite, leur préférence s’est portée sur une coalition avec les travaillistes. De son coté, le PvdA a jugé intéressante la perspective d’un gouvernement stable à deux partis seulement et a accepté l’offre. Ce sera un piège mortel : le VVD impose une bonne partie de son programme avec, notamment, une politique très austéritaire sur le plan budgétaire. Il faut bien reconnaitre qu’une partie du PvdA assumera sans état d’âme cette feuille de route : un certain Jeroen Dijsselboem, ministre des Finances du cabinet VVD-PvdA et Président de l’Eurogroupe sera, à l’échelon européen, et aux cotés de son homologue allemand Wolfgang Schäuble, l’un des symboles de la rigueur la plus orthodoxe et la plus intransigeante. Le gouvernement tiendra d’ailleurs toute une législature – phénomène rare aux Pays-Bas – malgré des sondages très vite désastreux pour le PvdA.
Le châtiment est intervenu en 2017 et s’est montré particulièrement rude : le PvdA a perdu 29 de ses 38 sièges et, avec 5,7%, obtient largement le plus mauvais score de toute son histoire. La déroute fut assez homogène dans tous les segments de la population : les classes moyennes progressistes ont migré vers D66 (social libéral, centriste sur les questions économiques et sociales, plus à gauche sur les questions sociétales) qui a obtenu 19 sièges, l’électorat jeune et urbain a plébiscité les Verts de Jesse Klaver et une partie des classes populaires a opté pour le PVV de Geert Wilders (extrême-droite), empêchant ainsi la gauche radicale de profiter des déboires des sociaux-démocrates, ce qui constitue, là encore, un phénomène récurrent en Europe, Allemagne et France inclus. Face à une telle débâcle, les travaillistes auront au moins la sagesse de choisir la reconstruction dans l’opposition sans prendre part aux négociations en vue de la formation du nouveau gouvernement, une fois de plus menée par le VVD.
Où en est donc le PvdA deux ans après cette quasi annihilation ? La convalescence est lente mais, bien qu’encore modeste, le regain de forme est réel, ce qu’attestent les sondages. Les travaillistes gagneraient ainsi 5 à 6 sièges en cas de nouvelles élections et se repositionnent comme la deuxième force à gauche, derrière les Verts mais devant la gauche radicale et les sociaux-libéraux de D66. Ces derniers pâtissent d’ailleurs à leur tour de leur coopération avec le VVD, les estimations prévoyant une perte allant jusqu’à la moitié de leurs sièges : il semble que la malédiction du « junior partner » ait de beaux jours devant elle. Les Verts ont, quant à eux, été bien inspirés de ne pas entrer dans la coalition gouvernementale ce qui leur permet de conserver un niveau élevé dans les sondages – autour de 18 sièges – mais en stagnation depuis 2017. Il est donc vraisemblable de supposer qu’ils sont assez proches de leur potentiel maximal si l’on considère leur incapacité à attirer au-delà des grandes métropoles. Concernant ces dernières, un phénomène préoccupant est apparu depuis les législatives de 2017 à travers l’émergence de Denk, un parti islamiste et pro Erdogan. Cette percée a été confirmée lors des municipales à Amsterdam et surtout à Rotterdam, avec des scores moyens de 6-7% mais beaucoup plus élevés dans certains quartiers à forte populations issues de l’immigration turque et marocaine. La concurrence de Denk touche davantage les Verts, compte tenu d’un électorat qui se recoupe en partie, et ces derniers réagissent de façon inquiétante comme en témoigne notamment leur positionnement pour le moins ambigu vis-à-vis du mouvement BDS ce qui, à mon sens, ouvre la voie à une dérive de clientélisme communautariste. Cette évolution ouvre plus d’espace à la gauche travailliste dans sa stratégie de reconquête : elle a désormais la capacité de devenir la seule force de gauche en mesure de parler à tout le pays et de séduire à nouveau les classes populaires parties vers le PVV, à condition, bien sûr, de rompre avec le discours austéritaire qui fut le sien lors du précédent gouvernement et de tenir un positionnement universaliste, loin du clientélisme d’une certaine gauche égarée dans une stratégie auto destructrice comme c’est le cas dans d’autres pays, notamment en France avec une partie de La France Insoumise.
La question du leadership n’est pas négligeable. Paradoxalement, Frans Timmermans a été l’un des seuls anciens ministres du gouvernement VVD- PvdA à tirer son épingle du jeu puisque sa popularité ne s’est jamais démentie, sans doute dû au fait qu’en tant que Ministre des Affaires Etrangères, il n’est pas autant associé à la politique sociale et budgétaire de la coalition et a acquis une vraie crédibilité sur la scène internationale. Il est donc probable que sa candidature à la Présidence de la Commission soit un atout pour le PvdA lors des prochaines élections européennes. Dans le cas où il n’obtiendrait pas la Présidence mais réaliserait un bon score dans son pays, son nom pourrait éventuellement resurgir pour prendre la tête du parti et le conduire aux prochaines législatives, prévues en 2021. Quoiqu’il en soit, la tonalité du début de campagne de Frans Timmermans a été clairement marquée à gauche, que ce soit par son discours de lancement de campagne ou l’orientation fondamentalement social démocrate du Manifeste commun, balayant ainsi les réserves que pouvait avoir à son égard une partie de l’aile gauche de la social démocratie européenne du fait de sa présence au sein de la Commission sortante comme dans le gouvernement Rutte II (2012-2017, du nom du Premier ministre libéral Mark Rutte). Cette évolution semble de bon augure pour l’avenir, aussi bien en vue des Européennes du mois de mai pour tout le PSE que pour les prochaines échéances à venir pour les Travaillistes.
EuroCité, dans un soucis de dialogue entre les différentes gauches, donne la parole à celles-ci en publiant à l’occasion des contributions d’auteurs qui peuvent être d’une sensibilité politique différente de celle d’EuroCité.
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