Appel à la Gauche à rouvrir le chantier européen

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Les appels récents à changer les traités européens, afin d’y intégrer la création d’eurobonds et d’une Agence européenne de la dette, doivent être saisis par la gauche européenne comme une occasion de s’emparer de la question institutionnelle dans un mouvement de refonte plus large et plus ambitieux.

Comme le pensaient les pères fondateurs, l’Europe avance sous l’aiguillon des crises. La gauche européenne, et en particulier la social-démocratie, a dans la situation actuelle un rôle particulier. Aujourd’hui dans l’opposition, son électorat traditionnel semble de plus en plus attiré vers des argumentaires de protection, voire de populisme utilisés tant par les conservateurs que par l’extrême-droite. Les institutions européennes, garantes de l’équilibre des pouvoirs et de l’intérêt européen, ne sont plus seulement ignorées des peuples : elles sont rejetées.

Pour la gauche, la critique des institutions ne peut être que constructive. Les institutions doivent être analysées comme des outils au service de politiques progressistes, c’est-à-dire permettant croissance, redistribution, investissement social, protection de l’environnement et rapprochement des peuples. La crise des institutions et l’inadéquation des dirigeants actuels obligent la social-démocratie à se pencher de nouveau sur l’ouvrage européen. Dans cette perspective, cet article propose de réformer, au moyen de réorganisations administratives et de partages de souveraineté, l’ensemble des institutions européennes autour de quatre pôles de décision : (1) un exécutif (au Conseil et à la Commission) rénové et resserré, (2) un « ministère européen des finances » plus politisé et de premier plan, (3) une diplomatie commune jouant un rôle d’éclaireur, et (4) la mise en place d’un pôle européen de politique sociale et d’investissement social.

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La crise économique et sociale qui frappe actuellement tout l’Occident a révélé deux faiblesses politiques majeures de l’Europe : d’une part, la fatigue des peuples face à la promesse européenne (celle de la stabilité économique, de la croissance renouvelée, de la coopération accrue et de la liberté de circulation) qui semble de moins en moins tenue et, d’autre part, l’incapacité des institutions à répondre à cette déception.

La dynamique européenne, qui était parvenue jusqu’aux années 2000 à concilier représentation des légitimités (celle des Etats et des peuples) et prolongement continu du mouvement d’intégration, semble aujourd’hui stoppée. L’Europe actuelle, dirigée par les conservateurs, n’est pas que paralysée : elle se disloque et se fragmente. Tant au niveau économique que politique. La stratégie de compétitivité-prix ou la sortie du nucléaire engagées par l’Allemagne posent question. Les garanties financières demandées par la Finlande à la Grèce comme condition à sa participation au plan d’aide européen, la volonté de la France et du Danemark de revenir sur les accords de Schengen constituent des symptômes sans équivoques d’une division grandissante et inquiétante.

Face à cette double crise (crise économique, crise de l’Europe), la gauche européenne devra se faire le héraut d’un nouvel esprit d’intégration plutôt que de céder aux sirènes dangereuses d’un euroscepticisme fatal. Pour cela, elle devra inéluctablement reposer sur la table la question institutionnelle.

L’Europe paralysée, conservatrice et provinciale

Au tournant des années 2000, l’Europe connaît une majorité de gouvernements de gauche : Schröder en Allemagne, Jospin en France, Blair au Royaume-Uni, D’Alema en Italie. La Commission Prodi se positionne au centre-gauche. Pendant ces années, la gauche s’empare avec plus ou moins de succès de la question institutionnelle : elle sécurise l’adoption du traité d’Amsterdam (bloquée notamment par le Royaume-Uni de John Major) et parvient à adosser la notion de croissance au Pacte de stabilité. Si elle plie sous les divisions nationales lors des négociations du funeste traité de Nice, elle s’engage toutefois résolument dans l’aventure de la Convention, qui débouchera sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe. L’ambition était de préparer l’Union européenne à affronter de la manière la plus efficace les défis qui l’attendaient : élargissement, mondialisation et question environnementale. C’était une promesse d’efficacité et de démocratie.

Outre les institutions, la stratégie de Lisbonne, celle qui prévoyait de faire de l’Europe l’économie de la connaissance la plus développée au monde d’ici 2010, est un héritage des gouvernements progressistes européens. C’était une promesse de prospérité et d’innovation.

Dix ans plus tard, le constat semble amer : aucune de ces deux promesses n’a été tenue.

Avec le recul, il semble que le pacte de stabilité et de croissance contenait non seulement un compromis franco-allemand mais l’essence même de cette double promesse : la convergence européenne par la stabilité et la croissance. Mais l’exigence de la stabilité, qui s’est transformée en paralysie, l’a emporté sur la nécessité de la croissance. Et les pas en avant dans l’intégration européenne n’ont pas eu lieu. Au lieu d’intégration, l’Union semble voir aujourd’hui des cercles variables se multiplier : l’Europe de la défense autour du couple franco-britannique, l’Eurozone, l’Europe de Schengen, etc… Si la mise en place d’une Europe à plusieurs vitesses a permis d’avancer par le passé, elle semble aujourd’hui constituer un frein et un moyen considérable d’affaiblir la Commission européenne, sensée être force de proposition et moteur de l’intégration.

L’Europe actuelle n’est pas que minée par sa division : elle est bloquée par son conservatisme. La droite actuelle, majoritaire dans les gouvernements nationaux, a changé de visage et se détourne de plus en plus de l’Europe. Nicolas Sarkozy, Angela Merkel, David Cameron et Silvio Berlusconi pensent à l’échelle globale ou nationale, mais pas à l’échelle européenne. Cette nouvelle droite, qui peut passer pour plus opportuniste ou plus populiste, ne cherche plus à expliquer les efforts d’intégration aux peuples européens. L’esprit européen de la démocratie chrétienne a laissé la place aux marchandages entre conservateurs.

Retrouver les peuples, réinvestir l’Europe : les deux chantiers de la gauche

Face à cette nouvelle droite, la gauche n’a pu revenir au pouvoir en position de force. À l’exception de l’Autriche, du Luxembourg, de la Belgique, de l’Irlande et de la Finlande, où les sociaux-démocrates sont alliés aux conservateurs. En Allemagne, en France, au Royaume-Uni, en Italie, en Pologne, en Suède, la gauche gagne les élections locales mais bute sur l’accession au pouvoir central. En Espagne et en Grèce, les gouvernements socialistes doivent gérer avec une extrême difficulté la crise. Comme le soulignait Ed Miliband dans un récent discours, la gauche est partout en recul en Europe. Son discours ne convainc pas, ses recettes paraissent usées, sa vision du monde et ses alliances dépassées.

La question européenne cristallise et illustre le malaise de la gauche : si les conservateurs ont réussi à allier opportunisme et défense de la rigueur, et si l’extrême-droite engrange des succès sur une ligne d’opposition frontale à l’Europe (aux Pays-Bas, en Finlande, en France, en Italie et en Suède notamment), la gauche n’a pas trouvé, elle, de message clair. Les dernières élections législatives au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en Finlande ont vu la social-démocratie sur la défensive quant à la question européenne. Plus encore, en opposant défense des catégories populaires et Europe, la social-démocratie a semblé crédibiliser le discours populiste de l’extrême droite au lieu de le combattre. À force de voir l’Europe comme un objet diplomatique et non comme un espace politique, la gauche semblait avoir abandonné ses ambitions de changer l’Europe. L’absence de candidat progressiste à la présidence de la Commission face à José-Manuel Barroso en 2009 est significative de cet abandon d’ambition.

Au Parlement européen, cependant, la gauche, même affaiblie, continue de porter des luttes. En imposant sur l’agenda européen la question de la taxe sur les transactions financières ou en s’engageant pour les droits des travailleurs ou pour la défense des libertés personnelles (notamment la vie privée), elle a tenu son rôle. Au delà du Parlement européen, le rôle du Parti socialiste européen (PSE) doit être central. Par delà son rôle de catalyseur et de force de proposition, le PSE doit engager l’ensemble de la social-démocratie européenne dans un travail de clarification idéologique sur l’Europe.

La situation actuelle appelle, en effet, à un sursaut rapide des gouvernements et des peuples : il convient d’assumer de faire des sauts en avant dans l’intégration européenne. Et dans cette phase de sursaut, la gauche doit jouer son rôle. Retrouver la promesse européenne, pour la gauche, passe également par se reposer la question institutionnelle, si douloureuse soit-elle.

Propositions progressistes pour refonder les institutions européennes

Le traité de Lisbonne, pourtant accouché dans la douleur, semble dépassé. La faute aux hommes et aux femmes qui occupent les fonctions nouvellement créées ? Certainement.

Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen, est faible et effacé. Il n’est plus celui qui rapproche les points de vue des chefs d’État ou propose des solutions. C’est dorénavant la France et l’Allemagne qui imposent le tempo européen. Catherine Ashton, la Haute représentante pour les affaires extérieures, n’a pas élaboré de nouvelles doctrines diplomatiques ou militaires de l’Union (elle n’a ni l’expérience d’un Chris Patten ou d’un Javier Solana, ni la vision d’un Henry Kissinger ou d’une Madeleine Albright). Elle n’est pas non plus celle qui va faire converger les diplomaties européennes autour d’objectifs communs. À la tête de la Commission européenne, José-Manuel Barroso n’est plus une force de proposition ni un moteur de l’intégration. Il n’est pas un Jacques Delors.

Mais les qualités – ou leur manque – des dirigeants actuels ne suffisent pas à expliquer les faiblesses des institutions européennes. Les institutions doivent constituer un cadre d’action, un gage d’équilibre des pouvoirs et un système de représentation des peuples. Il est possible d’identifier ces faiblesses institutionnelles et de proposer des solutions  progressistes grâce à une analyse reposant sur quatre pôles :

  • L’exécutif, confus car fragmenté ;
  • les affaires économiques, boiteuses et déséquilibrée ;
  • la diplomatie commune, qui reste à définir ;
  • l’emploi, faible et périphérique.

L’exécutif

Les fonctions exécutives de l’Union européenne sont aujourd’hui dispersées. La direction de l’Europe est déterminée par un leadership tricéphale qui obéit à des logiques différentes et opère dans des laps de temps divergents. La présidence tournante du Conseil ne peut influencer les décisions européennes que sur le court terme (6 mois). La présidence du Conseil européen a pour objectif de servir les États plutôt que de les guider et sa vision se limite à deux ans et demi (renouvelable une fois). Enfin, le président de la Commission européenne, dont le mandat dure une mandature européenne (5 ans), doit symboliser l’intérêt général européen et tient sa légitimité tant des représentants des peuples (parlementaires européens) que des États (Conseil). Toutefois, la Commission européenne, sensée représenter l’intérêt général, s’achemine de plus en plus vers un secrétariat général des États.

Cette triple présidence tient à trois logiques : la volonté des États de conserver l’illusion de pouvoir influencer, même de façon éphémère, la direction de l’Europe, la volonté d’insuffler plus de liant entre les chefs d’État et la propension, consciente ou non, à se projeter dans un modèle fédéraliste (américain ou allemand) où le partage entre compétences des États fédérés et État central est clair. Toutefois, en Europe, ce leadership fragmenté s’est traduit par plus d’obscurité pour les citoyens et moins d’efficacité pour les gouvernants.

Parce qu’elle touche précisément à l’identification de l’Europe pour les citoyens et à son mode de prise de décision, la réforme de l’exécutif européen devra constituer le premier chantier des progressistes. Trois pistes visant à rétablir les conditions d’un nouveau leadership peuvent être esquissées : une fusion des fonctions du président du Conseil européen et de président de la Commission, qui puisse permettre à cette dernière de rester au cœur du schéma institutionnel, et une réduction de la taille de la Commission (du collège des Commissaires). Pour cela, la gauche devra tenir un discours de vérité : la logique de la Commission (a fortiori celle du collège) ne peut en aucun cas être une logique nationale. Un président de la Commission de gauche devra faire preuve d’un véritable leadership et devra organiser une véritable collégialité. Cette collégialité devra reposer sur une profonde communauté de vues politiques entre commissaires, elle-même résultat d’une alliance, où la majorité politique du collège refléterait celle du Parlement.

Ainsi, il serait plus clair et plus démocratique que le président de la Commission soit choisi par le Conseil européen et élu par le Parlement européen dans le cadre d’un véritable débat entre plusieurs candidats. Chaque candidat à la présidence de la Commission pourrait ainsi exposer ses priorités devant les citoyens européens et les chefs d’Etat à l’occasion des élections européennes.

La gauche devra également se pencher sur la pertinence de la présidence tournante du Conseil, qui peut paraître trop courte et qui soumet le rythme de l’Europe aux aléas d’un gouvernement national changeant. Pour réformer la présidence du Conseil, il faudra choisir clairement entre trois modèles : la présidence actuelle du G20 (un an), la présidence du Bundesrat allemand (plus courte, plus honorifique) ou la présidence du Sénat américain, plus longue et assumée par le numéro deux du gouvernement fédéral. Il est également possible d’attribuer des présidences de certaines sessions du Conseil à plusieurs États pour un mandat plus long. Une autre piste serait de confier la présidence de certaines sessions à des super-commissaires, comme esquissé plus loin.

La Présidence du Conseil européen est également à repenser : plutôt qu’un courtier entre chefs d’États, la présidence du Conseil pourrait être une figure morale et un gardien des institutions et des valeurs de l’Union, sur le modèle des présidents allemand, autrichien, finlandais, grec, italien ou irlandais. La question de son mode d’élection (directe ou indirecte) pourrait se reposer à la gauche. La préférence pourrait aller à un scrutin direct, tant il est crucial de poser les élections européennes comme le centre de la vie politique de l’Union.

Les affaires économiques

Jacques Delors l’a souligné le premier : la gouvernance économique de l’Europe est boiteuse car elle ne repose que sur une jambe. En effet, si la politique monétaire est quasiment d’essence fédéraliste, puisqu’elle repose sur une Banque centrale européenne indépendante, la politique économique reste, elle, aux balbutiements d’une convergence économique qui se cherche. Cette dichotomie est à terme dangereuse. Si la gauche ne peut que souscrire aux nombreuses demandes d’une Commission instituée véritable gouvernement économique de la zone euro (et non le Conseil comme le demandent Nicolas Sarkozy et Angela Merkel), elle devra respecter pleinement les craintes d’une remise en cause de l’indépendance de la BCE.

La refonte de l’organisation des affaires économiques européennes est cruciale pour les gauches européennes car elle touche directement à la vie des citoyens et à la souveraineté des États.

Pour instituer un véritable leadership économique, permettant à la fois la coordination des politiques européennes, la convergence des économies nationales et la réforme du marché intérieur, la création d’un grand ministère européen des finances doit être envisagée. Ce super-ministère européen, à l’instar des grands ministères des finances nationaux, comprendrait les directions du budget, de l’Union économique et monétaire, de l’Industrie, de la régulation des Services financiers, de la Concurrence, de l’Union fiscale et douanière et du Commerce extérieur. Une responsabilité unique de ces directions permettrait plus de flexibilité dans la prise de décision et plus de lisibilité pour les citoyens. À l’instar de la Haute représentante pour les affaires extérieures actuelles, le commissaire qui superviserait ce pôle (à portefeuille unique ou divisé entre plusieurs commissaire) serait vice-président de la Commission européenne.

En matière économique, la gauche européenne devra être à même de briser d’anciens tabous : elle devra considérer qu’une partie de la souveraineté fiscale et budgétaire devra être encadrée par l’échelon européen. C’est là une des conditions du passage à un degré d’intégration plus poussé et d’une politique de redistribution et de justice sociale au plan européen. La solution au problème européen d’une croissance endémique n’est pas seulement européenne, elle appartient également aux gouvernements nationaux et dépend des réformes structurelles qu’ils mettent en œuvre. Néanmoins, les deux politiques sont très profondément liées : refuser l’intégration peut sérieusement mettre en danger les économies nationales, en particulier concernant les avantages du marché intérieur et de la stabilité monétaire.

La diplomatie

Incontestablement, le manque de lisibilité dans la conduite de la politique des affaires étrangères européenne est due à la superposition des rôles (Président du Conseil, Haut représentant, voire Président de la Commission). Le manque de lisibilité nourrit la faiblesse de la visibilité. La Haute représentante pour les Affaires extérieures doit cumuler les fonctions de trois figures : le secrétariat général du Conseil, le commissaire aux Affaires extérieures et la présidence tournante.

À l’instar de l’exécutif, une réforme de la diplomatie européenne doit être du moins engagée, sinon poursuivie. La mise en place du Service européen d’Action extérieure (SEAE) est aujourd’hui achevée. La coopération entre les différentes directions générales (Développement, Réponse aux Crises humanitaires et Affaires extérieures notamment) et les commissaires est déjà assurée. Un terrain d’entente a été trouvé pour la répartition des compétences d’Herman van Rompuy et celles de Catherine Ashton. Toutefois, les arrangements entre les personnes ne pouvant remplacer le temps long des institutions, il conviendrait de repenser les attributions respectives de la Haute représentante du Conseil et du Président du Conseil européen dans le cadre d’une refondation institutionnelle. À cet égard, le Président du Conseil européen pourrait détenir un rôle honorifique de représentation de l’Union mais ne pourrait mener la politique étrangère de l’Union, à l’image de la division des compétences entre Vice-président américain et Secrétaire d’Etat américain. En outre, il convient de s’interroger sur l’opportunité de conserver, pour la Haute représentante, une partie des fonctions de l’ancien Secrétaire général du Conseil, notamment la présidence du Conseil.

L’emploi

La politique européenne de l’emploi souffre de deux faiblesses structurelles : en dépit des objectifs des chefs d’États, elle demeure un accompagnement du marché intérieur (et notamment la garantie de la liberté de circulation des travailleurs) plutôt qu’une politique centrale et ses enjeux restent déterminés au niveau national. Or, si elle veut mettre en cohérence ses discours avec ses actions, la gauche européenne, et en particulier les socialistes européens, ne peut se contenter de monopoliser les postes de commissaire à l’emploi et de peser dans les débats au Parlement. Au plan institutionnel, la politique sociale et la politique de l’emploi doivent revenir au centre des politiques européennes. Pour ce faire, un des objectifs politiques pourrait être de créer un marché européen du travail, en agissant tant sur la formation continue que sur la circulation des travailleurs (et leurs droits) ou la fiscalité du travail. Un des instruments institutionnels permettant de remettre l’objectif d’une Europe de l’emploi au cœur des politiques européennes serait de créer, là encore, un grand ministère européen de l’économie et de l’emploi, doté de compétences étendues (comprenant notamment les directions du marché intérieur, de l’emploi et des affaires sociales et certains aspects de la politique fiscale ou de la politique de cohésion), pourrait hiérarchiser les enjeux et permettre une coordination des différentes politiques. Tant dans le domaine économique que de l’emploi, l’Europe doit effectuer un saut en avant et doit pour cela dépasser de nouveaux tabous, notamment en matière de partage de souveraineté. Pour accompagner et compenser le transfert de compétences au niveau européen et illustrer la priorité politique que représente l’emploi pour les progressistes, il pourrait être possible de faire du commissaire à l’emploi le troisième vice-président de la Commission.

D’autres réorganisations administratives peuvent figurer comme chantier de la gauche européenne : la mise en place d’un pôle industrie-climat-environnement-transports, sur le modèle français, ou le renforcement substantiel des prérogatives du Parlement. La réflexion est ouverte. Si les institutions doivent être réformées, il est évident qu’elles ne pourront remplacer ni l’action volontariste des gouvernants ni combler l’absence d’une vision européenne. Elles constituent seulement un cadre et un levier politique.

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La gauche et en particulier la social-démocratie comme l’Europe sont aujourd’hui à un tournant : elles traversent toutes deux une crise et peinent à trouver des voies de sortie. La difficulté de concevoir un tournant structurel constitue le principal obstacle empêchant de discerner ces voies de sortie.

Plusieurs leaders progressistes se sont faits les avocats d’une telle relance du chantier européen. La question de la méthode se pose alors. Faut-il changer les traités ? Faut-il proposer une Constituante ? Ou reprendre la forme de la Convention? Chaque solution peut être discutée et choisie. Mais quelle que soit la forme de cette relance politique et institutionnelle, la gauche européenne devra en être. Les premiers jalons sont posés.

Antoine Bargas