Réflexion autour de la politique régionale européenne

[button url=’https://eurocite.eu/wp-content/uploads/2014/03/eurocite_pierre_karleskind_politique_regionale_europeenne.pdf’ size=’small’ style=’magenta’] PDF [/button]

Pierre Karleskind, conseiller régional de Bretagne en charge de l’Europe, engage une réflexion sur la politique régionale européenne, une réflexion autant analytique que personnelle, au regard de son expérience de terrain.

*

Lorsqu’au tout début de mon mandat au Conseil régional de Bretagne, j’ai reçu une trentaine de jeunes gens en partance pour la maison de Robert Schuman à l’occasion du 9 mai 2010, je les ai interrogés sur les grands thèmes de la politique européenne. Tout y est passé : les transports, la culture, les langues, la recherche… Tout sauf ce qui était pourtant évoqué par le lieu-même où nous étions : la politique régionale.

Cette politique, à la fois supra- et infra-nationale, répond à l’exigence d’une construction européenne par des actions concrètes, en impliquant les acteurs proches des citoyens européens. Dès le Traité de Rome, il a été acté que la réalisation du marché commun nécessitait un développement harmonieux à travers l’Union. Elle vise donc à accroître la compétitivité des régions et à réduire les écarts de développement entre elles. Elle a évolué depuis sa création en tant que « politique de cohésion économique et sociale » pour être aujourd’hui pleinement considérée dans le Traité de Lisbonne comme étant de compétence communautaire partagée, considérant que l’Union se doit de promouvoir « la cohésion économique, sociale et territoriale», article 3, repris par l’article 158 TFUE.

Avec presque 350 milliards d’euros sur la période 2007-2013, la politique régionale est ainsi le 2e poste budgétaire de la politique communautaire. Elle se décline en 3 objectifs que sont « la convergence »,  « la compétitivité régionale et l’emploi » et « la coopération territoriale », et repose sur les outils financiers dédiés que sont les fonds structurels : le FEDER (fonds de développement régional), le FSE (Fonds social européen) et le fonds de cohésion. On peut également ajouter à ces trois fonds, le FEP (Fonds européens pour la pêche) et le FEADER (Fonds européen agricole de développement rural) qui ont une approche plus sectorielle, tout en ayant une déclinaison territoriale.

Malgré la reconnaissance institutionnelle dont elle fait l’objet, dans le cadre de la réflexion sur le budget européen pour la période 2014-2020, et compte tenu des progrès réalisés par nombre des régions bénéficiant de ces fonds, la politique régionale est remise en question dans sa mise en œuvre. Aboutissement d’une politique qui aurait montré son succès ou tentative de reprise en main des politiques régionales par les États sur le thème « I want my money back » ? La question est ouverte et l’enjeu financier est suffisamment important pour que les régions et les progressistes européens suivent le débat avec la plus grande attention.

La politique régionale 2007-2013

Fruit de plusieurs générations de politiques régionales, la politique 2007-2013 est dotée de 347,42 milliards d’euros et poursuit les trois objectifs cités au paragraphe précédent :

  • l’objectif « convergence », qui vise à promouvoir le développement des régions en retard de développement (PIB/habitant moyen inférieur à 75% du PIB/hab moyen européen) et auquel sont affectés 82 % des crédits ; Les régions de France métropolitaine ne sont pas concernées. En revanche, les 4 régions ultra-marines bénéficient de financements provenant de cet objectif. Cet objectif est le plus important car c’est celui qui est à la base de l’idée de cohésion sociale et économique. C’est celui qui a pour objet la réduction des inégalités et ainsi d’assurer la « réalisation du Marché commun dans un développement harmonieux ». D’un point de vue français, on comprend que la différence de niveau de vie entre les régions riches et les régions moins riches rend le marché commun néfaste pour nous. Nos produits ne sont pas vendables sur les marchés de ces pays car trop chers et la main-d’œuvre y est moins coûteuse, entraînant de ce fait les délocalisations que l’on connaît vers les pays de l’est.
  • l’objectif « compétitivité régionale et emploi », qui doit renforcer la compétitivité et l’attractivité des régions et qui bénéficie de 16 % des crédits ; Les grands thèmes prioritaires de cet objectif sont la protection de l’environnement, l’innovation, la société de connaissance, l’esprit d’entreprise et l’accessibilité. A ces thèmes relatifs au développement économique (sur la base du FEDER), se joint la formation d’une main-d’œuvre qualifiée et l’adaptation aux mutations économiques (financée par le FSE). L’ensemble des régions françaises bénéficiant des fonds liés à cet objectifs, elles y sont fortement attachées. Cet objectif intervient sur un certain nombre de politiques qui peuvent avoir une déclinaison sectorielle au niveau communautaire. La question de la plus-value de l’approche régionale est donc posée par la commission. Par conséquent, cet objectif est celui dont l’existence est le plus mis en cause.
  • l’objectif « coopération territoriale européenne », connu sous le nom Interreg IV, qui vise à soutenir la coopération transfrontalière, transnationale et interrégionale et regroupe 2,5 % des crédits. Différents espaces répondent à ces trois dimensions (pour la dernière, c’est l’Union toute entière) dans lesquels se développent des politiques coopératives plus ou moins intégrées.

Les régions maîtres d’œuvre de la stratégie de Lisbonne et de la stratégie EU 2020

La stratégie de Lisbonne, définie en 2000, vise à faire de l’Union un ensemble dont le développement est portée par l’économie de la connaissance, un ensemble compétitif et dynamique avec un emploi de qualité et une plus grande cohésion sociale. Lors de son évaluation en 2004-2005, l’échec de la stratégie, qui reposait sur les États, a été acté.

La commission a donc proposé que la politique régionale soit un instrument de mise en œuvre de cette stratégie. Afin d’y parvenir, il a été décidé d’orienter un pourcentage significatif des fonds structurels (60% pour l’objectif 1 « convergence », et 75% pour l’objectif 2 « compétitivité ») vers des actions « earmarkées », c’est-à-dire répondant aux objectifs de la stratégie de Lisbonne.

Plus proches des centres de recherches, des PME innovantes et souvent en charge des actions de formation, les Régions ont ainsi été reconnues par la Commission européenne comme étant les institutions pertinentes pour la mise en œuvre des politiques de croissance durable en Europe. En cela, les Régions se retrouvent maîtres d’œuvre de la stratégie EU 2020 pour une croissance intelligente, durable et verte.

Du changement dans la décision politique du fait du traité de Lisbonne

L’adoption du traité de Lisbonne a modifié la place institutionnelle de la politique régionale. En effet, celui-ci consacre la dimension territoriale dans l’objectif de cohésion économique et sociale qui devient « cohésion économique, sociale et territoriale ». D’autre part, comme dans de nombreux autres champs, le Conseil n’est plus seul décideur. En effet, le Parlement européen et le Conseil définissent, en codécision, conformément à la procédure législative ordinaire, les missions, objectifs et organisation des fonds structurels. Ce dernier point est important, car le Parlement a d’ores et déjà émis un certain nombre d’avis portant sur l’avenir de la politique régionale et affirmant son attachement à celle-ci.

Cependant, le débat sur la politique de cohésion n’est pas indépendant du débat sur le cadre budgétaire pluriannuel, qui fixe l’enveloppe que devront se partager les différentes politiques de l’Union. Or, les pressions des États pour maintenir le budget de l’Union à son niveau actuel sont fortes. Et dans ce débat, le Parlement n’a pas voix au chapitre.

Il doit être noté que le gouvernement français a explicitement, dans son avis sur le 5ème rapport sur la cohésion, affirmé, comme une évidence, que les fonds structurels dédiés à l’objectif de compétitivité doivent être significativement diminués.

Par ailleurs, la création du Comité des Régions fait porter plus haut la voix des Régions à Bruxelles. Ce dernier a d’ores et déjà adopté son avis concernant le 5ème rapport sur la cohésion.

Les réflexions pour la période 2014-2020

Les réflexions initiales

Les processus européen de décision ayant leur longueur, c’est aujourd’hui que se discutent les politiques pour la période 2014-2020. La commission a publié au printemps 2011 le 5ème rapport sur la cohésion dans lequel elle dresse les 1ères propositions d’évolution de cette politique :

  • le renforcement de l’aide vers les régions les plus en retard de développement et la création d’un objectif pour les régions sortant de l’objectif « convergence » afin d’atténuer cette sortie,
  • le centrage sur un petit nombre de priorités-clés pour les régions les plus développés,
  • l’adoption d’un cadre stratégique communautaire commun à tous les fonds (régionaux, agricoles et liés à la pêche) et reprenant les objectifs de la stratégie EU2020, ainsi que la déclinaison national de ce cadre sous la forme de contrats de développement.
  • la pleine prise en compte de la cohésion territoriale. Il s’agira de prendre en compte les spécificités liées au développement local, que ce soit dans les problématiques urbaines, dans l’accès aux services d’intérêt économique général ou dans le traitement des zones défavorisée.
  • Le renforcement de la conditionnalité de l’attribution de ces fonds à des réformes structurelles dans les domaines liés aux fonds structurels (environnement, innovation…) et au respect du pacte de stabilité par l’État-membre concerné. Cette conditionnalité est dite conditionnalité macro-économique. En contrepartie serait créé une réserve destinée à accompagner les efforts dans l’atteinte de objectifs de la stratégie EU2020.
  • Le Pacte de stabilité

Les Régions, associations de régions ainsi que le Comité des Régions ont vivement réagi à la conditionnalité macro-économique, considérant d’une part qu’elle est contre-productive, d’autre part, qu’elles n’ont pas à payer les conséquences des politiques budgétaires nationales relevant de la responsabilité des gouvernements centraux.

Il peut être noté que, dans son avis sur le 5ème rapport, le gouvernement français refuse de prendre position sur le sujet du respect du pacte de stabilité.

  • L’architecture

Le Conseil européen, ainsi que le Comité des régions approuvent l’idée d’une cadre stratégique commun à l’Union centré sur un nombre restreint de priorités relatives aux objectifs EU 2020, tout en restant suffisamment souple pour coller aux besoins locaux. Cela sonne comme un aveu d’efficacité des Régions à mettre en œuvre les mesures visant à atteindre les objectifs pour une croissance inclusive, intelligente et durable. Le Comité des Régions tient cependant à être pleinement intégré auprès du Parlement et du Conseil dans la définition de ce cadre stratégique communautaire.

Le Comité des Régions demande, comme les associations de régions, la mise en place de « pactes territoriaux » pour chaque État plutôt que de « contrats de partenariats pour le développement et l’investissement », en mettant en avant la nécessaire implémentation d’une gouvernance multi-niveaux.

  • Avis du groupe S&D du Parlement européen

Le groupe S&D considère qu’il est nécessaire de renforcer et d’améliorer la politique de cohésion. Elle doit prioritairement venir appuyer les régions les plus en retard de développement et celles ayant subi des restructurations profondes notamment liées à la mondialisation (cf. « L’avenir de la politique de cohésion », Groupe Socialistes et Démocrates).

Les propositions de la Commission dans le Cadre pluriannuel financier (29 juin 2011), le règlement de la politique de cohésion (décembre 2011) et le cadre stratégique commun (14 mars 2012)

La Commission reprend pour grande part les conclusion du 5ème rapport. Elle propose de passer la politique régionale de 35,6% (347 milliards d’euros) du budget communautaire à 32,8% (336 milliards d’euros).

La proposition est avancée de la création d’un fonds infrastructures énergie/transports/télécommunications ayant vocation à financer les grands investissements à dimension européenne.

Parmi les points notables du cadre financier pluri-annuel et du règlement de la politique de cohésion, on trouve :

  • Création d’une catégorie de régions en transition : le montant de cette catégorie s’élève à 39 Mds d’euros. Elle concerne les régions dont le PIB par habitant se situe entre 75 et 90% de la moyenne communautaire. Est notamment prévu un filet de sécurité pour les régions en « phasing out » (sortant de l’objectif de convergence), et une dégressivité de l’aide pour les régions actuellement en compétitivité.
  • Augmentation notable de la coopération territoriale (programmes Interreg).
  • Programmation pluri-fonds : FEDER/FSE/FEADER/FEAMP (fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche).
  • Concentration thématique : 80% des fonds FEDER seront axés sur l’efficacité énergétique, les énergies renouvelables, la compétitivité des entreprises et l’innovation pour les régions en transition et celles relevant de l’objectif de compétitivité.
  • Conditionnalités ex-ante et ex-post (liées aux indicateurs de résultats) : la conditionnalité prendra la forme, de conditions ex ante qui devront être remplies avant le versement des fonds et de conditions ex-post qui subordonneront le déblocage de fonds supplémentaires à l’obtention de résultats prédéfinis.

Enjeux politiques

Contexte européen

La discussion sur l’avenir de la politique de cohésion se fait dans un double contexte :

  • les difficultés financières des États et la volonté de maîtriser, voire réduire, celui de l’Union ;
  • la discussion sur la redéfinition de la répartition au sein du budget européen, notamment au regard de la PAC.

Il y a une inévitable concurrence entre les deux grands budgets de la Commission : la PAC soutenue par le gouvernement français et la politique de cohésion qui a la préférence de la Commission. On peut noter, à ce propos, la lettre envoyée par 4 eurodéputés français PPE à Bruno Lemaire, alors Ministre français de l’agriculture et de l’aménagement du territoire, en charge des deux dossiers (cf. « Des députés européens français défendent la politique régionale », EurActiv.fr, 12 janvier 2011). Dans cette lettre, les eurodéputés demandent expressément au Ministre de ne pas opposer les deux politiques. On pourra noter que, malgré cette lettre, le gouvernement français a suggéré explicitement au début de l’année 2011 une baisse de la part du budget européen consacrée à la politique de cohésion.

  • Ressources

Le débat sur la politique régionale ne peut également se voir sans avoir en tête les demandes pour la mise en place de ressources propres pour l’Union. Pour cette politique, plus que pour d’autres, le leitmotiv « I want my money back » est particulièrement prégnant. La mise en place de ressources propres permettrait de s’extraire des considérations nationales et permettraient de concentrer les efforts sur les priorités à la fois essentielles au niveau communautaire et pertinentes au niveau régional et local.

Le rapport d’initiative de l’eurodéputée Podimata a proposé, entre autres, la mise en place d’une taxation des transactions financières. La Commission européenne a proposé de reprendre cette idée, ainsi que la création d’une TVA communautaire pour créer des ressources propres.

Il reste, chose qui n’est pas acquise, à faire adopter ce genre de dispositions à l’unanimité par le Conseil.

  • Efficacité

L’efficacité de la politique de cohésion est un des points les plus discutés par les opposants de cette politique. Au début de l’année 2011, le Financial Times a attaqué fortement les fonds structurels au regard des détournements constatés ou présumés dans certaines régions.

Néanmoins, démontrer l’efficacité d’une telle politique n’est pas aisée, car il n’y a pas de comparaison avec/sans possible. On peut toutefois noter l’importance du développement des infrastructures dans le développement économique. Nombre de pays ayant rejoint l’Union en sont des exemples.

Pour les régions plus développées, l’utilité des fonds se fait sentir essentiellement dans leur effet levier pour développer les domaines dans lesquelles les Régions présentent des champs d’excellence. Leur intérêt est également particulièrement visible dans leur capacité à accompagner les secteurs en pleine mutation face au défi de la mondialisation.

  •  Contexte politique institutionnel du débat

Les gouvernements sont majoritairement conservateurs et le Parlement est à droite. On peut donc légitimement ne pas y voir un bon signe pour le devenir de la politique de cohésion. Cependant, le débat se sera tenu sous la présidence successive de l’Union par la Hongrie, qui est le plus gros bénéficiaire des fonds structurels, en pourcentage du PIB national, et par la Pologne, qui est le plus gros bénéficiaire des fonds structurels en valeur absolue.

Les blocages qui apparaissent de plus en plus importants sur les négociations du cadre financier pluri-annuel laissent présager une adoption tardive des règlements financiers. Cela retardera la mise en œuvre des politiques de l’Union. En avril 2012, le Président du Parlement européen, Martin Schulz, n’excluait pas que les négociations n’aboutissent pas avant la fin de l’année 2013.

Contexte national : pour une gestion décentralisée et non déconcentrée

À part en Alsace, les autorités de gestion des fonds européens (uniquement pour le FEDER) sont les Préfectures de région. Les autres gestionnaires (Conseil régional, ADEME, Préfecture de département) ont des délégations. Pour le FSE, c’est même le programme opérationnel est national.

La question est posée de la pertinence d’un tel dispositif. En effet, l’objet de la politique régional est le développement des territoires en prenant au plus près compte des enjeux, des opportunités et des faiblesses de ceux-ci. Or, pour deux raisons essentielles, les Conseils régionaux devraient être au cœur du dispositif :

  • les Conseils régionaux exercent des compétences reconnues sur l’aménagement économique de leur territoire, sur les aides aux entreprises sur la formation, sur l’environnement et appellent de fait déjà les fonds structurels en cofinancement.
  • les Conseils régionaux sont des entités composées d’élu(e)s qui connaissent de très près le territoire dont ils ont la charge, et sont donc les mieux à même d’orienter efficacement les fonds européens.

Alors qu’une volonté de décentralisation de notre pays se fait de plus en plus forte, la proposition du Président du Sénat de confier la gestion des fonds structurels aux Régions prend tout son sens. Au-delà, il s’agira de mettre en œuvre une promesse électorale du Président de la République.

Pour un engagement progressiste : réaffirmer la solidarité comme valeur européenne, l’investissement comme facteur de développement

La solidarité, facteur de réalisation d’une union européenne progressiste

Sous l’influence britannique, et avec l’aval de la France et de l’Allemagne, les discussions du Conseil prennent un tour particulièrement conservateur, avec le retour à une vision nationale. Au Parlement européen, les députés PPE tendent à se radicaliser à droite.

Dans ce contexte, les progressistes doivent mettre en avant la solidarité européenne, qui doit se traduire par des politiques d’intervention à l’échelle européenne.  L’opposition de la droite au renforcement de la politique de cohésion n’est seulement liée à la volonté de diminuer de combler les déficits des Etats (pour rappel, le budget 2010 de l’Union s’élève à 142 milliard d’euros quand le déficit de la France s’élève, lui, à 148 milliards d’euros). L’opposition de la droite est idéologique en ce qu’elle veut réduire l’intervention publique de façon générale.

Lorsque le marché commun a été réalisé avec l’Acte unique, la politique de cohésion a été instaurée en contrepartie nécessaire. À une libéralisation des marchés européens, a été adossée une politique de solidarité, nécessaire au bon fonctionnement du marché commun et indispensable pour contrecarrer les disparités pouvant en résulter.

La politique de cohésion trouve pleinement son sens dans les actes fondateurs de la Communauté européenne. Dans son discours du 9 mai 1950, Robert Schumann déclarait : « L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait. » Cette solidarité doit être l’élément central d’une position progressiste européenne. Le principe de subsidiarité étant un des pivots de l’Union, la plus-value de celle-ci, en tant qu’organisation, ne peut s’exprimer qu’à travers cette solidarité. Sans cette dernière, l’Union n’est qu’un marché commun, et non un espace politique de réalisation du vivre-ensemble par-delà les frontières.

La solidarité s’exprime dans les fonds structurels sous différentes formes : d’abord intrinsèquement, elle est redistributive, ensuite parce qu’elle met en œuvre des dispositifs aidant ceux laissés sur le bord du chemin par la mondialisation, notamment à travers les actions d’adaptation de la main-d’œuvre dans les secteurs en mutation. Si on peut s’en féliciter, elle ne saurait se limiter à ces perspectives. Les fonds structurels, comme les politiques communautaires dans leur ensemble, ne sauraient en effet se contenter de soigner les maux engendrés par la mondialisation. Elle doit donc d’une part donner les armes à nos territoires pour affronter la mondialisation en leur permettant un développement harmonieux et durable, d’autre part, permettre aux individus de se réaliser.

L’investissement : dans l’humain et pour la croissance

L’effet levier est le principe d’action des fonds structurels. Le financement des actions liées à l’innovation n’est jamais majoritaire, il se contente d’initier ou de finaliser un plan de financement. À un euro de fonds structurels, correspondent en moyenne 4 euros de fonds nationaux, régionaux et parfois privés qui ont vocation à créer les conditions de l’innovation. L’innovation s’appuie ensuite un investissement privé massif dans les domaines productifs en démultipliant l’apport européen initial.

On voit donc que l’argent européen injecté est un entraînement massif pour créer les richesses et les emplois dont notre espace économique a besoin. Les PME sont aux premières loges des ces financements. Elles sont également celles qui créent : des emplois, des nouveautés et des richesses.

Dans le contexte de rigueur indifférenciée sous la houlette des gouvernements conservateurs, il est indispensable que les progressistes protègent, promeuvent et renforcent les fonds structurels, véritable arme de guerre pour la croissance.

Par ailleurs, alors que les institutions européennes planchent sur les financements innovants, il y a un domaine inépuisable de développement dans l’innovation sociale. Le Fonds Social Européen (FSE) est l’outil permettant aux territoires de s’engager dans cette nouvelle forme d’innovation. Il nous appartient, en tant que progressistes, de pousser dans le sens de l’innovation, et non simplement dans le sens de l’adaptation. De la même façon que l’innovation technique et économique a pris sa place sur les territoires, les fonds structurels trouvent leur sens dans le domaine de l’innovation sociale car il est nécessaire d’avoir un cadre sécurisé pour les travailleurs dans lequel les territoires peuvent innover et être inventifs avec la connaissance du terrain, plutôt qu’un cadre concurrentiel incertain.

Une analyse personnelle

L’Union européenne n’est pas une fédération d’États-Nations, elle n’est pas plus une fédération de régions. On comprend néanmoins qu’elle est un ensemble composite d’États et de Régions dans lequel une hiérarchie entre ces deux ensembles d’entités peut être compliquée (autonomie Catalane vs Luxembourg ?). Henry Laurens décrit l’Union comme « un empire par consentement », sans préciser qui a « consenti » (cf. « Entretien avec Henry Layrens », Acturca, 7 mai 2010). C’est cette dernière question qui doit nous amener à réfléchir sur le sens de la construction européenne. Invité par les Sénats polonais et français à intervenir à Poznań lors d’un forum sur les relations décentralisées entre ces deux pays, j’exprimais en guise de conclusion l’idée selon laquelle l’Union européenne se construisait par les relations entre les collectivités, entre les individus, entre les différents éléments du corps social et ne devait pas se voir uniquement comme un édifice de collaboration entre États.

L’histoire nous a montré que la soumission des Rois n’est pas suffisante à la construction d’un Empire durable. De la même façon, on peut écrire ici que l’Union ne saurait se satisfaire du consentement de nos dirigeants. C’est par le citoyen qu’elle doit se construire. Or, il est bien devant nous le danger d’une Europe où seuls nos dirigeants parleraient de construction mais où la confrontation entre les Régions et entre les individus serait la règle.

Les propositions de la Commission semble réaffirmer l’importance de la cohésion économique, sociale et territoriale. Cependant, en l’absence de perspective budgétaire favorable, et au regard des déclarations de certains gouvernements, il est difficile de se reposer sur des certitudes quant à l’avenir de la politique de cohésion. En particulier, la menace de suspension des fonds structurels dans les États ne respectant pas le pacte de stabilité est une véritable pierre dans la mare des autorités locales jusqu’alors considérées plutôt positivement par Bruxelles. En effet, faire payer localement l’incurie d’un gouvernement central est une manière de voir les choses que le gouvernement français ne renie pas : drôle de façon de mettre en œuvre le principe de subsidiarité !

Pour conclure, affaiblir l’objectif de renforcement de la compétitivité des régions pour lui substituer des politiques sectorielles communautaires est une tentation dans une Europe libérale. Cela entraînerait le risque pour les Régions de ne plus se voir entre elles comme des partenaires mais bien comme des concurrentes devant se fondre dans les moules sectorielles pour voir les fonds européens descendre vers elles. On verra alors les régions dynamiques s’envoler et les régions aux moindres atouts régresser.

Ce développement concurrentiel, on le voit, serait un coup fatal porté à l’idée d’un développement « harmonieux » du territoire européen ainsi qu’à la construction d’une Europe politique porteuse d’objectifs de développement partagés.

Pierre Karleskind