Vers la constitution d’un système partisan européen ?

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La crise des dettes souveraines que traverse la zone euro annonce – peut-être – l’imminence de l’épreuve de vérité démocratique pour la construction européenne. Le processus historique d’intégration entre États souverains semble enfin toucher la limite de légitimation de toute construction fonctionnelle. Les gains réels ou supposés générés par l’entreprise de mise en commun supranationale de compétences étatiques justifient-ils le double évidement formel et substantiel de l’État ?

Évidement formel d’abord, car la souveraineté juridique, symbole de l’intégrité identitaire de la communauté politique nationale, a été au mieux réduite à l’ultime essence – l’option de sortie – ou au pire subrepticement captée par la Cour de justice de l’Union européenne, maîtresse de l’interprétation de la ligne de partage des compétences entre Union et États membres. Évidement substantiel ensuite, car l’État ne saurait être État s’il ne possède et assure un noyau dur de politiques publiques essentielles.

Telles sont du moins les données du problème posé par la Cour fédérale constitutionnelle allemande dans sa décision du 30 juin 2009 sur la constitutionnalité du Traité de Lisbonne. Les juges de Karlsruhe exigent que soit tranchée la question de la finalité de l’intégration européenne selon une logique binaire : le saut fédéral (souveraineté européenne) ou l’association d’États (souveraineté nationale), mais pas d’entre-deux. Du coté des peuples, le consensus permissif des premiers temps semble irrémédiablement enterré. Les rares occasions d’accès à la parole ont été sans équivoque. Ainsi le principe démocratique est-il aujourd’hui une limite tant politique que juridique à l’avancée de l’intégration européenne, alors que les solutions majeures à prendre requièrent justement plus d’Europe. La construction européenne semble être arrivée au pied du mur : franchir le seuil qualitatif de la démocratie européenne, ou mourir.

L’instauration d’une véritable démocratie européenne implique l’émergence d’une forme de communauté politique à l’échelle du continent, c’est-à-dire la constitution d’un espace de solidarité entre citoyens. Cela inclut entre autres la traçabilité de la responsabilité politique, du vote du citoyen à l’acte législatif. La politisation de l’Union européenne est alors invoquée comme dernier remède.

Le président de la Commission européenne devra être le leader de la formation politique victorieuse aux élections européennes, ce qui devrait cristalliser un clivage gauche/droite et donner ainsi plus de lisibilité et d’intérêt à la politique européenne. Plus encore, d’aucuns, revigorés par le vent frais des primaires citoyennes françaises, s’empressent de parler de primaires européennes comme nouvelle panacée. Mais ne nous y trompons pas : la démocratie européenne ne sortira pas d’énièmes montages juridico-institutionnels au niveau européen. Car ceux-ci, aussi sophistiquées soient-ils, ne chapeautent qu’un vide, celui de l’absence d’un espace public européen.

Il faut se situer dorénavant dans une approche socio-politique. L’espace public européen n’éclora pas de lui-même, au gré d’une conjoncture historique – la sanctuarisation nationale du débat autour de la Constitution européenne le démontre – ou d’une innovation institutionnelle astucieuse. Il naîtra de la structuration socio-politique des enjeux socio-économiques européens. Cela passe nécessairement par la mise sur pied d’un système partisan européen, non pas entendu comme système de partis politiques au niveau de l’Union européenne mais comme système partisan de l’espace européen incluant et articulant les niveaux partitiques local, national et européen.

Seul existe actuellement une étroite sphère publique au niveau européen composée d’individus en prise directe avec l’Europe, par métier ou par intérêts et engagements personnels. Ce qui fait structurellement défaut, ce sont des canaux de circulation entre le niveau européen et le niveau national, entre les partis européens et leurs partis nationaux, entre un militantisme européen et le militantisme local quotidien. Les débats européens s’arrêtent aujourd’hui aux portes de l’arène nationale. Les partis nationaux leur en ferment l’accès, par désintérêt – l’Europe ne fait pas vendre – ou par crainte – l’Europe divise. Les partis nationaux ont ainsi une responsabilité première dans la carence d’un espace public européen, tout comme ils portent en eux la possible solution. Ils sont le chaînon manquant de la démocratie européenne.

La constitution d’un espace partisan européen nécessite à la fois un relâchement du lien hiérarchique liant les partis européens à leurs partis nationaux et un renforcement de la relation de travail programmatique et militant entre ces deux niveaux partitiques. Le Parti socialiste européen (PSE) et les partis socialistes et socio-démocrates nationaux qui le compose viennent de faire un pas déterminant en ce sens, lors de la convention PSE qui s’est tenue à Bruxelles les 24, 25 et 26 novembre. Le PSE, qui avait acté l’année dernière le principe d’un candidat commun pour la présidence de la Commission lors des prochaines élections européennes de 2014, vient d’adopter le processus de désignation de son candidat et d’élaboration du programme commun.

Il ne s’agit toutefois que de la moitié du chemin. Il faudra en effet que les partis socialistes et socio-démocrates nationaux jouent loyalement le jeu commun de l’Europe, c’est-à-dire qu’ils portent pleinement la campagne du candidat PSE et du programme politique commun. Les élections européennes de 2009 avaient montré une fois de plus que cela n’avait rien de naturel, la structure nationale du champ politique tendant objectivement aux stratégies nationales solitaires.

Selon la logique même de l’intégration européenne, il faudra que les partis politiques nationaux dépassent leurs propres intérêts en transférant de manière volontaire une partie de leur pouvoir politique à leur parti européen. Cela ne découlera pas d’un effet mécanique induit par la dynamique intégrative de la construction européenne, mais de la volonté de certains acteurs politiques nationaux aux postes stratégiques qui, appuyé par une base de militants engagés pour l’Europe, sauront forcer par ruse mais aussi par un rapport de force les portes européennes de leur parti national.

C’est ainsi que ce joue au sein des partis nationaux une lutte – pour l’instant sourde – pour intégrer la politique européenne dans leur sein, d’un point de vue statutaire (élection par les militants des délégués nationaux au congrès du parti européen), organisationnel (création d’un secrétaire national entièrement dédié aux questions européennes et aux liens avec le parti européen), militant (penser et organiser le militantisme européen au niveau local) et programmatique (intégration de la politique européenne dans la réflexion nationale et participation nationale à la réflexion européenne).

* Cette tribune a été publiée sur Le Monde.fr (6 décembre 2011).

Nicolas Leron

Président fondateur d'EuroCité. Nicolas Leron est chercheur associé au Centre d'études européennes de Sciences Po Paris. Il est également vice-président de Nonfiction.fr, site d'actualité des livres et des idées. twitter.fr/nicolasleron