Renégocier le traité budgétaire, rassembler la gauche européenne autour d’un socle programmatique commun

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Il ne suffit pas de signer un « traité budgétaire », dont la philosophie allie la dérégulation à l’austérité, pour résoudre la profonde crise de gouvernance économique de la zone Euro. Profitant du contexte actuel, les forces politiques conservatrices, l’UMP et la CDU en tête, ont réussi à imposer leur vision de la crise. Les coupables sont désignés d’avance : salariés trop protégés, États trop dispendieux, peuples par essence déraisonnables.

Sa mise en place est marquée du sceau d’une élaboration franco-allemande traduisant le déséquilibre profond des pratiques récentes de gouvernance, marginalisant les institutions européennes en reléguant la Commission et le Parlement européen à des rôles de figurants. Le parlement français n’a, pour sa part, jamais été consulté sur ces questions qui engagent profondément l’avenir de notre pays.

L’intérêt européen qui devrait régir les avancées de l’Union européenne (UE) ne sert plus de principe directeur à la construction du projet européen. L’évocation de la mise sous tutelle d’Athènes par Angela Merkel traduit par sa simple possibilité la dérive profonde du système politique de l’UE vers un modèle de relations internationales fondé sur l’asymétrie des puissances étatiques, en contradiction totale avec l’ethos du projet européen né de la Déclaration Schuman.

Contre le choix irréversible de l’austérité

La manière d’entendre le mot « croissance » dans le traité budgétaire annonce une priorité pour le court terme et la prédominance de la sphère financière sur la sphère économique. Au lieu de changer de perspective, l’UE s’attache fermement à une doctrine économique qui délaisse sciemment l’appareil industriel européen au profit de contraintes financières. Et par voie de conséquence, c’est une mise en suspens de la création d’emplois qui est scellé pour des temps meilleurs. Peut-on accepter que l’emploi soit encore la variable d’ajustement ?

En envisageant une réduction des déficits publics sans différencier dépenses de fonctionnement et d’investissement, ce traité ne laisse pas de place pour une nouvelle organisation dans la vie économique capable de structurer une industrie par la coopération européenne. Il n’est pas question de louer l’interventionnisme mais d’affirmer que certains investissements sont absolument nécessaires pour envisager une croissance de long terme, dynamique, portée par l’innovation reposant comme le souligne Robert Barro sur les infrastructures de communication, de transport, la santé et l’éducation.

De surcroît, l’objectif annuel de réduction d’un vingtième de la dette, indifférencié selon les États et sous peine de sanction, s’apparente à une pénalité de pauvreté, profondément injuste dans son principe et irréaliste dans son application.

Engager l’alternance en Europe, rassembler la gauche autour d’un socle programmatique commun

La démarche d’A. Merkel et, pendant les présidentielles, de N. Sarkozy expose aux yeux de tous le diagnostic fondamental que nous faisions lors de la création de notre think tank EuroCité : il faut sortir de la voie européenne du consensus transpartisan entre social-démocratie et démocratie-chrétienne, tant le clivage est désormais devenu prégnant et les positions antagonistes. Pour l’avoir oublié, de nombreux gouvernements sociaux-démocrates y ont laissé leur bilan et fini tristement devant les électeurs.

La démocratie européenne, c’est-à-dire l’Europe politique, passe par une nouvelle lecture de la politique européenne à travers le prisme des clivages partisans, donc programmatiques, en rompant avec l’Europe de la diplomatie étatique. Une telle Europe politisée implique de la part des partis politiques nationaux une révolution interne en intégrant dans leur structure même la dimension européenne, et ce à tous les échelons. Les partis nationaux ne doivent plus être ce plafond de verre qui sépare et marginalise la politique européenne de la politique nationale, mais au contraire être le trait d’union entre ces deux sphères pour enfin donner naissance à un véritable système partisan européen, étape nécessaire pour l’avènement d’un espace public européen.

Les années 2012, 2013 et 2014 ouvrent pour l’UE un cycle d’élections nationales qui remettent en jeu près de la moitié des voix du Conseil de l’UE et l’intégralité des sièges du Parlement européen. La gauche européenne doit préparer dès aujourd’hui l’alternance en édifiant un socle programmatique commun fort et crédible qui sera la base de la renégociation du traité budgétaire. Voici quelles seraient, selon nous, ses grands axes :

1) Le refus de la constitutionnalisation de la règle d’or, procédé profondément antidémocratique qui vise à conférer à un paradigme économique particulier, l’ordo-libéralisme, la valeur de dogme intangible.

2) Les critères de réduction des déficits budgétaires doivent être révisables en fonction de la conjoncture et prendre en compte la différence fondamentale entre dépenses d’investissement et de fonctionnement.

3) Le financement de projets de relance d’intérêt européen via des « Eurobonds-projects » qui pourraient permettre un authentique investissement européen et constituer l’amorce d’une vraie politique industrielle européenne.

4) La garantie par la BCE, au moins partiellement, des dettes publiques européennes, en respectant un plafond, selon un mécanisme réassurantiel – et non juridictionnel. Pour cela, une ligne de crédit doit être ouverte en permanence au sein du Fonds européen de stabilité financière (FESF).

La victoire de François Hollande et sa volonté de renégocier le traité budgétaire constituent l’amorce d’une réorganisation du jeu politique européen, tant dans sa nature (Europe politique contre Europe inter-étatique) que dans sa géométrie (alternance à gauche avec une redéfinition de la politique économique européenne). Il reste à concrétiser cette potentialité par la construction d’une gauche européenne, processus difficile mais nécessaire. Les élections européennes de 2014, avec la désignation préalable du candidat du Parti socialiste européen à la présidence de la Commission européenne, seront une étape déterminante du processus.

Tribune initialement publiée sur Le Monde.fr (4 juin 2012).

Pierre Karleskind