Chaque hiver depuis deux ans, dans l’une des plus belles stations de ski des Alpes françaises, se tient le Festival de Cinéma Européen des Arcs, créé et dirigé par Pierre-Emmanuel Fleurantin. Le but de ce jeune événement unique en France est de faire découvrir aux spectateurs, producteurs et journalistes les récentes créations cinématographiques dites européennes.
Pour comprendre les motivations qui ont poussé l’équipe de Pierre-Emmanuel Fleurantin à organiser un tel événement, il est nécessaire de dresser un constat : l’espace artistique est mondial avant d’être européen. « Le seul cinéma européen connu du grand public est en effet celui porté au niveau mondial par de grands réalisateurs (tels Ken Loach, Pedro Almodovar, ou Lars von Trier), et par des acteurs (Diane Kruger, Max Michaelson, Gael Garcia Bernal). Et force est de constater que ceux qui composent aujourd’hui le star system européen sont passés par Hollywood avant d’obtenir la reconnaissance du grand public. »
Pourtant, la force du jeune festival est de permettre à des œuvres européennes qui ne s’inscrivent pas dans cette logique d’être diffusées, vues, et promues – projet ambitieux à une époque où les intérêts économiques dépassent souvent la création artistique.
Définir clairement les contours de l’espace public européen
Pour P.-E. Fleurantin, le cinéma européen existe sous trois formes différentes. Les « grosses productions » menées par des sociétés comme Europacorp sont les plus facilement exportables, car elles répondent à l’image du blockbuster américain. Des marques comme Taxi ou Transporter, produites en Europe par des réalisateurs européens, sont sures d’attirer les spectateurs, et de ce fait, la circulation est aisée. Mais est-ce vraiment de cela que l’on parle quand on pense au cinéma européen ? Cela en fait partie, nous rappelle P.-E. Fleurantin, mais il faut prendre en considération le fait qu’ils font avant tout référence à un cinéma-monde.
Le « cinéma d’auteur » trouve lui aussi un public, certes érudit, mais dont l’existence est rendue possible par un réseau de communication, entretenu par la presse et les festivals, acteurs-clés de la circulation des œuvres cinématographiques.
Enfin, il y a ce que P.-E. Fleurantin appelle le « ventre mou » du cinéma européen. C’est là qu’un travail de construction de l’espace public doit se faire, afin de dépasser la difficulté majeure rencontrée par les films qui le constituent : le manque de circulation. Parce que le public peut manquer d’accroche (réalisateur et casting peu connus, identités nationales trop marquées), les distributeurs ne sont souvent pas prêts à prendre le risque d’acheter et de diffuser une œuvre en dehors du cadre national dans lequel elle s’inscrit.
Pour P.-E. Fleurantin, la clé de la création de l’espace cinématographique européen réside dans la diffusion. Car « plus ces films seront diffusés, plus il y aura de coproductions, et plus les acteurs et réalisateurs européens pourront circuler. »
La co-production, caractéristique du cinéma européen
Afin de participer à cette logique de constitution d’un espace public et cinématographique européen, la sélection effectuée par l’équipe du Festival de Cinéma Européen doit répondre à deux critères : les films doivent avoir une co-production majoritaire européenne et le réalisateur doit être européen.
À ce niveau pourtant, force est de constater que ces co-productions reflètent toujours une certaine fragmentation géographique de l’Europe. Car la première barrière que rencontre la circulation des films est celle de la langue à laquelle s’ajoute la différence de culture cinématographique. Ainsi certains pays comme la France ont une culture du doublage très prononcée, tandis qu’une collaboration avec l’Angleterre qui n’accepte d’autre langue que celle de Shakespeare est très difficile à envisager.
La construction d’une zone géographique de co-production dépend aussi souvent d’un star system commun : c’est le cas pour la zone scandinave, et pour Noomi Rapace, actrice suédoise starisée avec Millénium et ayant fait ses débuts dans un film danois.
De cette fragmentation géographique, il est aisé de comprendre que la production a tendance à rester avant tout au niveau national.
L’Union européenne au service de la construction d’un espace public européen ?
L’entrée dans l’Union européenne des pays de l’Est a été révélatrice de ce que la zone peut offrir au niveau culturel. En plus d’un appel d’air économique et de l’apprentissage de la liberté d’expression, ces pays ont eu la possibilité de se joindre à des programmes européens comme le programme MEDIA, fonds ayant pour vocation l’aide au développement, la production et la diffusion en salle. Bien que la cinématographie avait déjà fortement évolué dans les années 1990 avec la chute du monde soviétique (Cristian Mungiu, réalisateur roumain, a remporté la Palme d’Or du Festival de Cannes en 2007), la co-production avec les pays de l’Est a été facilitée.
Pourtant, un projet de réforme initié par la Commission Barroso, dans le but de fusionner MEDIA à d’autres programmes communautaires, représente ce que P.-E. Fleurantin appelle « un manque de discernement » de la part de l’Union européenne. Le budget annuel d’environ cent millions d’euros n’est pas très élevé en comparaison de ce qu’il apporte : car c’est un programme qui aujourd’hui permet la collaboration culturelle et le rayonnement des valeurs européennes. « Et cela est très important pour la période que nous traversons : plus on ira au-delà de l’intégration économique, plus on réussira à souder les populations autour de valeurs communes, tout en maintenant les particularités culturelles. »
C’est le cheminement que suit le Festival du Cinéma Européen des Arcs. Parfois appelé le « Sun Dance » européen, cette plateforme a su révéler l’existence d’un public européen, et donc celle d’un marché potentiel. En l’espace de deux années, le Festival a pris une dimension tant nationale qu’internationale en présentant un savant mélange de films exigeants en matière d’esthétisme, et accessibles au grand public. La reconnaissance d’un tel événement culturel est cruciale, car comme le souligne P.-E. Fleurantin, « un festival qui peut devenir un label de référence, c’est ça aussi qui construit l’espace public. »