Le parti social-démocrate en Norvège. Un déclin à relativiser

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Les élections parlementaires norvégiennes de septembre 2013 ont entraîné la démission du cabinet de coalition « rouge-verte » et de son Premier ministre social-démocrate Jens Stoltenberg, le 14 octobre 2013. De la même façon que leurs voisins suédois en 2010, les membres de la coalition de centre-droit ont réussi à remporter le plus grand nombre de sièges et à former un gouvernement minoritaire partagé par le parti conservateur (Høyre) et le Parti du progrès (Fremskrittspartiet) – qui entre pour la première fois au gouvernement – et soutenu par les Libéraux (Venstre) et le parti démocrate-chrétien (Kristelig Folkeparti). C’est donc un basculement vers la droite assez important pour un pays où les sociaux-démocrates ont longtemps représenté la principale force politique (Jens Stoltenberg était le deuxième Premier ministre en terme de longévité depuis 1945) et qui n’a pas connu de Premier ministre conservateur depuis 1990. Pénalisé principalement par la baisse des résultats de ses partenaires politiques, à savoir les partis socialiste (Sosialistisk Venstreparti) et du centre (Senterpartiet), le parti travailliste (Det norske arbeiderparti) apparaît dans une position incertaine au sein du paysage politique norvégien. Or, pour tenter de caractériser sa situation actuelle, il faut tenir compte de la place particulière qu’occupe la social-démocratie dans le modèle social et politique du pays et nuancer l’idée de « déclin » : le parti social-démocrate représente toujours le parti le plus important au sein du parlement norvégien.

Comment comprendre les dernières élections parlementaires pour le parti social-démocrate ?

Dans le discours des sociaux-démocrates et des think tanks proches du parti, les raisons principales de la perte de la coalition rouge-verte en septembre 2013 sont surtout liées aux faiblesses des partis SV (Sosialistisk Venstreparti) et SP (Senterpartiet), qui ont respectivement perdu quatre sièges et un siège – le parti socialiste se situant presque en-dessous du seuil minimum des 4% pour être représenté au parlement – plutôt qu’à celles du parti travailliste. Ce dernier (qui a pourtant perdu 9 sièges aux dernières élections) se serait, au contraire, renforcé et apparaîtrait encore plus consolidé qu’avant. Selon les sondages d’opinion, le parti travailliste aurait, en effet, gagné des points au sein de la population norvégienne. De plus, l’arrivée du nouveau directeur du parti, Jonas Gahr Støre, après la nomination de Stoltenberg comme secrétaire général de l’OTAN, serait un nouveau facteur de renouveau et de regroupement ; cela ferait, apparemment, longtemps que le parti travailliste présente si peu de divisions et de factions.

Détenant le plus grand nombre de sièges à l’assemblée parlementaire, il semble légitime d’affirmer que les travaillistes n’ont pas perdu leur influence dans le processus de décisions politiques – 55 sièges sont remportés par le parti travailliste, 48 par le parti conservateur et 29 par le Parti du progrès. On peut donc, d’une certaine manière,  continuer à considérer les sociaux-démocrates comme la première force politique du pays. Or, cette dernière doit affronter l’émergence d’une « nouvelle droite », qui réussit à rassembler les votes d’un électorat ne provenant pas nécessaire d’une tendance à « droite » et positif par rapport à la taxation et au Welfare state.  Cette « nouvelle droite », en prenant des distances avec son traditionnel discours « anti-taxes »,  ne semble pas compromettre le modèle social norvégien (du moins, dans le discours). De fait, étant donné la large popularité de l’État-providence en Norvège – et dans les autres pays scandinaves – ce déplacement dans leur discours semble nécessaire, d’un point de vue stratégique, pour ces partis de centre-droit, afin d’attirer des votes du « centre-gauche » ; ce qui tend à déstabiliser et à démunir le parti travailliste et ses alliés, qui n’ont pas encore réussi à adapter leur rhétorique en réponse à cette évolution récente.

La dimension historique des sociaux-démocrates norvégiens, fondement de leur modèle social et politique contemporain

D’une manière générale, la social-démocratie dans les pays scandinaves est souvent associée à l’ensemble de leur régime politique et social. Il existe, en effet, un large consensus transpartisan autour la question de l’État-providence et de l’importance de ses prestations sociales. La construction d’un modèle social-démocrate, initié à partir de la fin du XIXe siècle, et plus particulièrement depuis les années 1930, fait partie intégrante de l’identité même de ces démocraties – d’où le jeu de mot à partir des initiales du parti social-démocrate norvégien « DNA », qui signifient « ADN » en français.

Cette prédominance des sociaux-démocrates dans la culture politique de ces pays et dans leur identité vient, notamment, de leur importante hégémonie au cours du XXe siècle : « nulle part ailleurs en démocratie – à l’exception de Japon – un parti et un mouvement n’ont aussi durablement et largement dominé l’espace politique ». En effet, les postes exécutifs ont été occupés de manière continue par des gouvernements sociaux-démocrates majoritaires, des années 1930 aux 1960 (sauf pendant la Seconde guerre mondiale), en Norvège et en Suède. Comme on peut le constater dans le tableau ci-dessous, les partis sociaux-démocrates scandinaves se démarquent nettement des autres pays européens par leurs performances électorales impressionnantes, inscrites entre 40% et 50% dans les années 1950. Ce n’est qu’à partir des années 1960-70 que leur prépondérance commence, occasionnellement, à être remise en cause par des gouvernements de coalition de centre-droit.

Performance électorale législative décennale des partis socialistes européens, 1950-2009*

1950-59 1960-69 1970-79 1980-89 1990-99 2000-2009
Norvège 47,5 45,5 38,8 37,4 36 30,8
Suède 45,6 48,4 43,7 44,5 39,8 37,5
Danemark 40,2 39,1 33,6 30,9 36 26,8
France 15,2 15,9 21 34,5 20,6 24,4
Allemagne 30,3 39,4 44,2 39,4 36,9 31,9
Moyenne 13 pays** 33,2 33,2 31,7 31,1 29,2

26,6

* Principal parti réformiste de gauche
** Les 13 pays : Les 5 cités, Autriche, Belgique, Finlande, Irlande, Luxembourg, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suisse.
Source : Gerassimos Moschonas, « Historical Decline or Change of Scale ? The Electoral Dynamics of European Social democratic Parties 1950-2009, in James Cronin, Georges Ross, James Shoch, 2011, What’s Left of the Left. Democrats and Social Democrats in Challenging Times, Durham, Duke University Press, p. 53.

Apparus d’abord à partir des années 1880 et, initialement, très proches des programmes allemands fondateurs de la social-démocratie, les mouvements sociaux scandinaves se singularisent progressivement par leur grand pragmatisme. La notion de « socialisme », chez les Scandinaves, a historiquement été substituée par celle de « démocratie », qui est devenue centrale dans la rhétorique de ces mouvements au début du XXe siècle : la démocratie (et son système parlementaire) est considérée comme un moyen, voire un principe, aboutissant presque automatiquement – une fois installé dans une structure politique solide – à une  révolution sociale, fondée sur l’égalité. L’enjeu des « sociaux-démocrates » est, avant tout, d’installer une révolution « organique », par des moyens légaux, et d’éviter une révolution radicale et brutale à partir d’une idéologie « abstraite ». Les sociaux-démocrates cherchent, ainsi, à se détacher de la référence marxiste, jugée trop radicale, surtout après les révolutions russes, et à développer une certaine approche « nordique » de la social-démocratie – les membres du « DNA » ne se définissent, effectivement, pas comme des « socialistes ». Pour cela, les sociaux-démocrates doivent être en mesure de coopérer avec d’autres groupes réformateurs – d’autant plus que la social-démocratie norvégienne doit affronter un important rival, le Parti de gauche libéral (Venstre),  qui représentait déjà un acteur important lors de la mise en place du parlementarisme en 1884 et du combat pour l’indépendance nationale en 1905.

Or, le parti social-démocrate norvégien se distingue de ses voisins scandinaves par ses positions originaires plus « radicales » autour du syndicalisme révolutionnaire et de son idéologue Martin Tranmæl, qui défend l’entrée du DNA dans le Komintern. Alors que les partis danois et suédois cherchent, parallèlement, à développer des alliances avec les libéraux pour accéder aux postes politiques, le DNA norvégien est le seul parti social-démocrate européen à avoir intégré (certes, brièvement) l’internationale communiste de 1919 à 1923 – ce qui entraîne une scission du parti, durant les années 1920, entre l’aile « révolutionnaire » et l’aile « réformiste » du parti, refusant cette compromission avec le soviétisme. À partir de 1923, le Parti communiste norvégien (NKP) est créé et le DNA est réunifié en 1927 ; il ne formera son premier gouvernement minoritaire qu’en 1928 et pour quelques mois seulement. Ainsi, le parti social-démocrate norvégien s’inscrit, à ses origines, dans une tension particulière entre un « programme ouvertement révolutionnaire et une pratique politique plus modérée ».

Toutefois, pour réussir à mener des réformes sociales ambitieuses, les sociaux-démocrates vont devoir accepter des alliances de classe afin d’asseoir leur parti plus largement dans la société. C’est pendant cette période de transition des années 1920 que l’identité de la social-démocratie norvégienne va évoluer vers un certain « réalisme », qui la caractérisera, par la suite, tout au long du XXe siècle et la mènera aux postes exécutifs en 1935, sous l’égide de Johan Nygaardsvold. Certes, avec un peu de retard par rapport à ses voisins suédois et danois, le DNA norvégien va également orienter son discours autour de la notion de « foyer du peuple », afin de se détacher progressivement de son image de parti internationaliste et apatride pour développer une vision plus unifiée et rassemblée de la nation et un « type de nationalisme ‘démocratique’ et égalitaire ».

C’est ainsi que les sociaux-démocrates vont réussir à asseoir leur hégémonie, pendant plus de trente ans, sur une large base électorale rassemblée autour de ces valeurs d’égalité et de démocratie. On pourrait parler, aujourd’hui, d’une forme de « consensus social-démocrate », qui ne serait pas même remis en question par les acteurs de l’opposition. En effet, lorsque le parti travailliste a perdu les élections en 1981, laissant la place à un gouvernement conservateur, les coupes dans les dépenses sociales ont été relativement modestes en comparaison avec d’autres pays européens de l’époque (comme le Royaume-Uni) et n’ont pas eu d’effets sur la structure de l’État-providence. Il arrive souvent que les dépenses sociales continuent d’augmenter sous un gouvernement non-socialiste.

Évolutions récentes du parti travailliste et des «Travailleurs»

Bien que la Norvège ait connu une industrialisation relativement tardive et avec moins de brutalité que chez les pays européens « continentaux » et longtemps présenté une population dominée par le prolétariat rural, la « classe ouvrière » est tout de même considérée comme la clientèle de prédilection des sociaux-démocrates norvégiens. Or, la diminution de la classe ouvrière, manuelle et urbaine (considérée comme la base électorale « naturelle » des sociaux-démocrates) et la désindustrialisation de l’économie, désormais principalement dirigée vers les services, entraînent d’importantes questions quant à l’« identité » et la stabilité de l’électorat du parti travailliste. Le tableau ci-dessous, présentant l’évolution du vote de classe, permet de noter la baisse importante de ce dernier : le vote de classe a diminué de plus de la moitié entre 1945 et 1990, représentant moins du quart de l’électorat des travaillistes en 1990.

Évolution du vote de classe, 1945-1990
(indice d’Alford/moyennes par période)

1945-1960

1961-1970

1971-1980

1981-1990

Norvège

52,5

32

33,8

20,5

Danemark

39,8

52

28,1

20,9

Suède

51

40,7

37,3

32,7

France

24,4

18,3

17

11,7

Allemagne

36

24,8

14,9

13,4

Source : Paul Nieuwbeerta and Dirk Van De Graaf, « Traditional Class Voting in Twenty Postwar Societies », in Geoffrey Evans, (ed.), 1999, The End of Class Politics? Class Voting in Comparative Context, Oxford Oxford University Press, p. 32.

Parallèlement, les liens entre les partis travaillistes et les syndicats semblent s’être relativement distendus depuis les années 1990. Alors que ces derniers, reliés par une idéologie et une histoire communes, sont souvent considérés comme les « frères siamois » du mouvement ouvrier, les importants changements socio-économiques de ces dernières décennies ont profondément altéré l’expérience du travail et, ainsi, les préférences politiques des électeurs. En effet, les membres des syndicats ouvriers votant pour les sociaux-démocrates ont nettement diminué : en 1965, 75% des membres du syndicat central LO (Landsorganisasjonen) votaient pour le DNA ; en 1993, ils sont toujours à 61% et en 2001, ils chutent à 33%. Cela est, en partie, dû à la suppression, en 1997, de la forme d’ « affiliation collective » qui existait entre les membres syndicaux et le parti social-démocrate. Comme l’indique le tableau ci-dessous, cette « affiliation collective » générait une forme d’inflation « artificielle » des effectifs des partis sociaux-démocrates, avant les années 1990 – qui chutent, ainsi, brutalement la décennie suivante. Le parti travailliste et les syndicats sont, dès lors, devenus en pratique des structures organisationnelles formellement distinctes, à tous les niveaux.

Effectifs des partis sociaux-démocrates en Scandinavie, 1990-2008

Norvège 128 106
(1990)*
72 557 (1995) 52 880 (2000) 45 600 (2008)
Suède

838 822

(1990)*

229 095 (1991) 162 578 (1998) 100 639 (2008)
Danemark 75 162 (1989) 59 500 (1998) 51 000 (2008)
Finlande 85 242 (1990) 64 111 (1990) 54 000 (2008)

* Les affiliations collectives des syndicats sont encore prises en compte et gonflent artificiellement le nombre d’adhérents.
Source : Peter Mair, Ingrïd Van Biezen, “Party membership in twenty European democracies”, Party Politics, 2001, vol. 7, n°1, p. 7-21.

Même si les relations entre le parti travailliste et les syndicats semblent s’être reconsolidées, après la chute historique des travaillistes en 2001, et notamment lorsque le DNA forme un gouvernement en coalition en 2005, leur lien apparaît nettement moins évident, du fait de la fragmentation de l’électorat travailliste et de la baisse d’une « conscience de classe », qui représentait la base du développement du parti travailliste comme mouvement politique unifié et puissant. Mais c’est surtout l’avènement d’une population majoritaire de « cols blancs » et d’employés du secteur public qui modifie sérieusement les bases traditionnelles du compromis social-démocrate. Les sociaux-démocrates ont réussi à développer un ancrage fort au sein de la classe moyenne en expansion et notamment dans un secteur public en forte croissance, dès les années 1980. Ainsi, les sociaux-démocrates ont-ils réussi à façonner leur propre clientèle non seulement par leurs politiques sociales, mais également par l’intermédiaire de la croissance du secteur public, tout en maintenant une rhétorique qui magnifie le mouvement ouvrier et l’importance des classes populaires. Mais l’érosion et la diversification du « monde ouvrier » (de plus en plus attiré par des partis protestataires) et la fragmentation considérable de la « classe moyenne » salariée, ainsi que l’apparition de nouveaux clivages et divisions (au sujet de l’Europe ou de l’immigration, par exemple) semblent représenter de réels défis pour les sociaux-démocrates, qui doivent s’adapter à une offre politique de plus en plus concurrente.

Quels enjeux principaux pour les sociaux-démocrates aujourd’hui ?

Depuis les années 1990 et la chute historique du DNA aux élections de 2001 (comme le représente le graphique ci-dessous), l’électorat  des sociaux-démocrates norvégiens semble nettement plus instable. Le parti travailliste n’atteint pas même le quart des votes en 2001, ce qui représente son pire score en 80 ans. On peut ainsi remettre en cause la capacité du parti travailliste, désormais, à rassembler une majorité autour de lui. En effet, ce dernier doit abandonner, en 2005, sa stratégie « anti-coalition » qu’il avait menée tout au long du XXe siècle, et partager, pour la première fois, les cabinets avec d’autres partis afin d’obtenir la majorité. Même si le DNA semble avoir retrouvé des scores élevés depuis 2005, il paraît difficile de nier son certain affaiblissement, depuis ces vingt dernières années (symbolisé, effectivement, par la mise en place de la coalition « rouge-verte » en 2005).

Performance électorale des partis scandinaves sociaux-démocrates de 1945 à 2010

Norvège graphique1Source : Dag Einar Thorsen & Øivind Bratberg’s lecture 1, “Scandinavian Democracy”, UiO, 16 August 2013.

De nombreux sujets, tels que l’Europe, l’immigration ou encore l’impact du New Public Management sur les politiques du pays, tendent à diviser le parti, de manière interne. Si les dirigeants du parti social-démocrate sont majoritairement « pro euro », leur base électorale, ainsi qu’une grande partie de leurs membres sont plus sceptiques. Pour tenter de concilier ces positions divergentes au sein même du parti, une forme de « contrat de désunion » s’est établie au sein du DNA, permettant aux dissidents d’exprimer leur point de vue et de ne pas être obligés de s’aligner sur les positions des dirigeants. Ce genre de contrat s’intègre dans une stratégie de « compartimentation », qui consiste à isoler chaque sujet de dissension de l’entente général du parti. Or, cette manière de gérer les divisions rend difficile toute prise de décision majeure et décisive au sujet de l’Europe (reléguant la décision aux résultats des référendums), et surtout, invite à adopter cette stratégie de « compartimentation » pour tout autre type de divergences – ce qui semble être le cas pour la question de l’immigration. En effet, les sociaux-démocrates ont eu tendance à la mettre de côté dans leurs programmes et n’ont pas réussi à définir clairement leur politique à ce sujet – laissant ainsi la voie au parti populiste du Progrès pour imposer leur monopole sur cette question.

De plus, les pressions du libéralisme et des récessions ont imposé de profondes transformations de la social-démocratie, à partir des années 1980-90. Ayant adopté – certes, de manière réticente – un certain nombre de mesures de « modernisation » et de « rationalisation » des politiques publiques, héritées du New Public Management, les sociaux-démocrates norvégiens, qui exerçaient traditionnellement un fort contrôle sur les entreprises publiques, ont dû changer leur point de vue dans une direction néolibérale en acceptant l’autonomisation, voire la privatisation, d’un nombre important d’agences publiques. Ainsi, la social-démocratie norvégienne est confrontée, depuis plusieurs décennies, à d’importantes remises en question, passant par les réformes plus ou moins libérales du secteur public et social, l’européanisation, la fragmentation des systèmes partisans ou le développement de l’immigration. Or, depuis une quinzaine d’années, peu d’éléments indiqueraient un certain renouvellement idéologique chez le parti social-démocrate norvégien, d’autant plus que la situation économique particulière de la Norvège (du fait de ses excédents phénoménaux générés par le pétrole) n’incite pas les sociaux-démocrates à développer une réflexion très élaborée sur des questions centrales et sensibles comme l’immigration, le multiculturalisme, la mondialisation et la crise économique financière.

L’enjeu principal pour les sociaux-démocrates, aujourd’hui, est de réussir à mobiliser les jeunes, qui représentent un électorat relativement faible. La profonde assise historique et institutionnelle du parti peut, paradoxalement, apparaître comme un handicap pour ce dernier, qui est perçu (principalement par les jeunes) comme un parti « installé », bureaucratique, ayant gouverné pendant huit ans entre 2005 et 2013. Les sociaux-démocrates ont donc intérêt à entretenir des relations stables avec des organisations de la « société civile » (organisations de jeunes, d’étudiants, de cercles de formation, associations sportives etc.), ainsi qu’à continuer à développer de nouvelles formes de mobilisation à travers l’usage des nouvelles technologies afin de renouveler son image politique.

Un parti confronté à un nouveau paysage politique national davantage pluraliste

Le parti social-démocrate norvégien semble se « normaliser » depuis une dizaine d’années : il ne peut désormais plus atteindre des scores supérieurs à 40%, et doit, depuis 2005, se résoudre à des stratégies de coalition avec le parti du Centre notamment (qui avait précédemment formé, à plusieurs reprises, des gouvernements avec les partis conservateur et démocrate-chrétien). Même s’il reste un des acteurs centraux aux niveaux parlementaire et gouvernemental ainsi qu’une force sociale toujours liée à des syndicats très puissants et représentatifs, l’avènement de « nouveaux » acteurs, comme le Parti du progrès norvégien ou, chez ses voisins, les Démocrates suédois, le Parti du peuple danois et les Vrais Finlandais, qui ont réussi à imposer leur monopole sur de nombreux sujets sensibles, tels que l’immigration, l’Europe et la mondialisation, peut désarmer les sociaux-démocrates sur certains points et les priver d’une plus grande partie de l’électorat. Mais surtout, ces « nouvelles » forces politiques reprennent elles-mêmes des éléments forts du discours traditionnel de la social-démocratie, comme celui du « foyer du peuple » ou de la solidarité sociale associée à l’idée de communauté nationale identifiable. La nécessité d’un certain renouvellement idéologique des sociaux-démocrates apparaît, ainsi, assez pressante, dans ce contexte de déstabilisation de l’équilibre politique norvégien et de ses codes de référence.

(Illustration photo : Utenriksdepartementet UD – Licence Creative Commons)

Marion Attia