Oui à une Europe de la défense !

 

 

 

A l’approche des élections européennes de 2024, EuroCité donne la parole à un collectif militant s’exprimant sur la sécurité collective de l’Europe. 

 

L’Europe a besoin d’une sécurité collective


Les dernières illusions sur la sécurité de l’Europe ont volé en éclats en 2022. Après la dislocation de l’Union soviétique, la plupart des nations occidentales ont cru pouvoir recueillir les « dividendes de la paix », en diminuant progressivement le budget affecté à la défense, en renonçant à des pans entiers des structures de leurs armées, privilégiant les actions humanitaires, la lutte contre le terrorisme ou, pour certaines d’entre elles, la projection de forces d’interposition ou d’intervention ponctuelle sur quelques théâtres extérieurs.

L’annexion, en 2014, de la Crimée et l’occupation du Donbass par la Russie a commencé à dessiller les nations de l’Europe orientale. D’aucuns pensaient pourtant que les relations commerciales et le développement des échanges économiques restaient les meilleurs garants d’un avenir de stabilité et de paix pour le continent. La guerre d’agression de la Russie en Ukraine, relancée en février 2022, a fini de les détromper tragiquement.

De multiples attaques informatiques perpétrées contre les systèmes d’information gouvernementaux, hospitaliers, de transports, mettent en évidence que l’opposition traditionnelle entre état de paix et état de guerre n’est plus pertinente pour décrire un état hybride où l’intérêt national se retrouve tout autant sous la menace de puissances étrangères. La guerre hybride est aujourd’hui devenue l’état habituel des relations entre les pays occidentaux et des nations agressives.

Tout projet d’Europe de la défense qui se construirait en concurrence de l’OTAN perdrait les moyens d’atteindre son objectif, et serait refusé par la grande majorité de nos partenaires de l’Union européenne. Pour autant, nous ne pouvons plus accepter cette posture infantile qui consiste à déléguer l’entière sécurité du continent à un acteur extérieur. L’élection de Donald Trump en 2017 a mis en évidence la permanence de courants isolationnistes aux États-Unis. Le pivot stratégique vers la zone Asie-Pacifique lancé par Barack Obama est un autre signal : nul ne peut garantir que les États-Unis resteront toujours le fiable fournisseur de sécurité qu’ils ont été pour l’Europe.

L’Europe est capable de construire une Défense européenne

L’Union a prouvé sa capacité à dépasser ses limites et à progresser. Elle l’a fait lors de la pandémie de COVID, en mettant en place des stratégies communes d’achat et de production de vaccins et des dispositifs de réaction aux crises de grande ampleur. Les questions de défense peuvent s’appuyer sur des mécanismes analogues. Des étapes importantes ont été franchies avec la création en 2021 de la direction générale consacrée aux industries de défense et à l’espace et des deux instruments financiers complémentaires que sont le Fonds européen de défense et la Facilité européenne pour la paix. Surtout, l’Union a adopté sa Boussole stratégique en mars 2022, au lendemain de la nouvelle agression russe en Ukraine.

Nous pensons qu’il est possible d’aboutir à une vision commune en matière de défense européenne. Après des décennies de non-participation, les Danois ont massivement voté en mai 2022 pour intégrer la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) de l’Union. En France aussi, nous pouvons faire bouger les lignes : la question de la dissuasion nucléaire française et de son apport pour la sécurité de l’Europe ne doit pas être écartée, et la France doit assumer clairement son rôle en affirmant que l’intégrité des pays de l’Union fait partie de ses intérêts vitaux.

Le chancelier allemand Olaf Scholz a annoncé le 27 février 2022 son intention d’augmenter sensiblement les dépenses militaires. De nombreux États ont pris des décisions similaires : la Suède ou le Danemark se sont engagés à atteindre 2 % de leur PIB pour la défense, la Pologne compte les augmenter à 3 %, la Belgique et la France suivent des tendances analogues.

Nos propositions

Lançons les initiatives qui favoriseront l’émergence d’une Europe de la défense à 27 : En particulier, poursuivons la construction d’une base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE), pour que nos pays puissent produire et acheter ensemble les équipements utiles en renforçant l’européanisation de nos industries de défense. Le Common Procurement Act permettant l’achat commun de munitions et d’équipement médicaux doit être salué, et des initiatives similaires encouragées au Parlement européen. Nous devons également œuvrer à la création d’un Buy European Act sur les questions de défense et sécurité.

Simplifions et structurons les initiatives existantes : Il existe aujourd’hui en Europe une multiplicité de dispositifs intergouvernementaux sur la coopération en matière de défense. Chacun d’entre eux est bienvenu dans sa singularité et a permis de réunir les bonnes volontés pour réaliser des actions concrètes. Pourtant, l’intergouvernementalité ne peut être une règle absolue, sinon à aboutir à un mille-feuille d’initiatives se faisant concurrence, à la portée limitée et faisant resurgir les divergences entre États. Nous proposons de toutes les réunir, et de faire de l’Union leur cadre commun. L’Eurocorps, dont les nations cadres sont la France, l’Allemagne, la Pologne, la Belgique, l’Espagne et le Luxembourg, pourrait s’élargir à tous les États membres et fournir une structure opérationnelle et décisionnelle à disposition de l’État-Major de l’Union Européenne. Assumons une ambition politique qui doit s’incarner à travers des fonctions institutionnelles et politiques renforcées :

  • Au Parlement européen, nous souhaitons que les parlementaires puissent créer une commission à part entière sur les questions de défense, embrassant aussi bien les sujets économiques que géopolitiques. Au nom du contrôle démocratique, celle-ci devra exercer un devoir de supervision, notamment en matière d’exportation d’armements.
  • À la Commission, nous voulons voir siéger un commissaire sur les questions de défense et de sécurité qui aura compétence sur toute la chaîne de valeur de l’industrie. L’ensemble des sujets concernés par la défense européenne doit relever d’un portefeuille unique. L’écartèlement actuel entre le Commissaire au marché intérieur et le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ne peut donner satisfaction.
  • De même, le Fonds européen de défense doit basculer dans une véritable volonté de faire émerger les champions industriels de demain. Huit milliards d’euros sur sept ans seront insuffisants pour transformer l’industrie de défense de l’Union. Nous proposons que le Fonds européen de défense change de statut, pour passer de simple fonds de financement à un véritable fonds d’investissement. Il s’agit de la seule façon de rendre l’industrie européenne moderne, compétitive et adaptée aux menaces.

 

Marc Brion, Laurent Chéno, Paul Cruz, Lucie Solem

Cette contribution est le fruit d’une analyse approfondie des enjeux actuels ainsi que d’entretiens avec des députés européens socialistes de la sous-commission Sécurité et Défense. Elle a été intégrée par le Parti socialiste dans son texte programmatique en vue des élections européennes du 9 juin 2024, notamment son chapitre 3 « Sécurité et défense » pages 13 à 15.

Lucie Solem

Secrétaire générale puis Présidente d’EuroCité depuis le 9 mai 2017 jusqu’à octobre 2020. Ancienne trésorière de la section PS de Buenos Aires, Lucie Solem est membre du PS Paris XI (responsable des jumelages européens et partenariats internationaux) et du PS portugais. Sa forte passion pour les voyages l’a amenée à effectuer de longs séjours en Argentine, en Espagne, au Brésil, en Allemagne, au Portugal, en Autriche et en Angleterre.