La carène articulée
. Pour une vision progressiste d’un monde en mouvement


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Alexis Lefranc développe le concept philosophique de « carène articulée » pour saisir les relations et les équilibres complexes entre les divers niveaux politiques (région, État-nation, Europe) qui sont autant d’axiologies à assembler.

*

Introduction. La question ontologique

Dans quel monde vivons-nous ? Qu’est-ce que le monde, qu’est-ce que l’Europe, et qu’est-ce que l’État, la Nation, notre pays ?

Il nous est difficile de répondre à ces questions parce qu’elles impliquent des termes largement utilisés mais rarement définis consciencieusement. Nous discutons de concepts abstraits, sans prendre le temps de s’assurer qu’ils ont pour nous un sens concret. La presse comme la sphère académique se répandent en analyses creuses de la crise de l’Euro, mentionnent le FMI, la troïka, l’ONU ou l’UE, sans prendre le temps de définir avec suffisamment de concision ou d’inspiration les termes utilisés, ni de concevoir une perspective éclairée et suffisamment large d’esprit.

Que sont le capitalisme, ou le communisme, ou le Salafisme aujourd’hui ? Quand prenons-nous le temps de définir ces termes avant de s’en emparer d’autorité ? Ces mots et les réalités qu’ils recouvrent sont les victimes faciles de la glose irréfléchie qui pénètre trop souvent nos débats publics, s’emparant à loisir de notions attenantes à des réalités complexes, sans toutefois véritablement manier les concepts qu’elles sont censées recouvrir.

La communauté humaine, l’Europe, et la Gauche sont les objets de cet article. Il s’agit, plus précisément, de penser une vision progressiste de l’Europe dans le monde, c’est à dire de l’UE comme une communauté politique étant un des éléments du tout que nous nommons Monde. Qu’est-ce que « le Monde » aujourd’hui ? Quelle est cette partie du monde que nous nommons l’Europe ? Quelle est cette tendance politique au sein de l’Europe que nous nommons « la Gauche » ? Comment ces concepts s’articulent-ils ? Comment pouvons-nous avoir prise sur notre propre perception du monde, et la modeler en fonction des besoins que nous éprouvons être ceux de notre communauté globale ?

Au-delà de nous-mêmes

Les histoires politiques des grands pays européens, comme des plus petits, ont mené à l’apparition de courants politiques divers, qui ne sont pas toujours clairement identifiables hors de leur contextes nationaux. Les termes de Gauche et de Droite utilisés aujourd’hui de par le monde proviennent de la répartition des progressistes et des conservateurs dans l’hémicycle à l’époque de la révolution française. Qu’en est-il aujourd’hui ? Existe-t-il une Gauche globale, une Droite globale ? Qu’est-ce aujourd’hui que la Gauche dans l’Europe, et l’Europe dans un monde en recherche de démocratie globale ?

Et plus encore, comment pouvons-nous développer une méthodologie et une approche progressiste au sein d’une Union européenne qui promeut cet ordre mondial démocratique ? Comment proposer une conceptualisation de la « nature transversale » de la politique globale ?1

Nous choisissons d’approcher la construction d’un cadre ontologique par le biais d’un questionnement sur le fondement de toute appréhension interprétative du réel tel qu’il est décrit par Nietzsche, en terme de systèmes de valeurs morale. Nous procéderons à une analyse sommaire du rapport entre position ontologique, liens axiologiques et langage, pour introduire alors le concept de « carène articulée », un cadre souple et cyclique fournissant un mode d’appréhension progressiste du phénomène humain, au sein duquel les déterminations ontologiques, sociopolitiques, économiques et financières évoluent selon des charnières que déterminent les positions axiologiques diverses des sociétés et individus qui constituent la nation humaine. L’article se conclue par une présentation des applications empiriques du concept de carène articulée.

La Question des Valeurs

La seule frontière que trace l’Union européenne 
est celle de la démocratie et des Droits de l’Homme.2

La première question qui se pose dans le cadre d’une réflexion sur une épistémologie et un cadre ontologique progressistes européen est celle des valeurs. Si l’engagement politique est un acte de foi, c’est-à-dire d’adhérence à un parti pris idéologique sur la question du devenir de la société, alors la première question est celle de savoir ce qui est bon (ou souhaitable) et ce qui est à rejeter. Ceci équivaut à se poser la question des valeurs qui sous-tendent ce jugement normatif.

Le parti pris idéologique cité ici ne doit pas cependant être opposé à une approche pragmatique qui serait son contraire, comme cela est souvent pratiqué par nombre de politiciens et académiques contemporains. Un parti pris idéologique n’est pas anti-pragmatique, il est cependant dogmatique au sens ou il représente un choix déterminé. Le choix en question est celui de savoir dans quel type de société nous souhaitons vivre. Sans ce choix dogmatique qui est à la source de toute idéologie, il n’existe pas de débat politique, sinon sur la question des compétences de chacun dans la poursuite d’objectifs qui seraient par ailleurs non controversés. Il est cependant clair que le débat politique se nourrit non seulement de telles controverses, mais aussi d’un contraste marqué entre les prises de positions des uns et des autres sur la question de savoir quels sont ces objectifs ultimes, et donc de déterminer quelle société est celle dans laquelle nous souhaitons vivre. Ce choix est celui d’une démarche dogmatique qui nous permet de former des idéologies reposant sur des substrats ontologiques (comment voyons-nous le monde et nous-mêmes, ce que nous souhaitons être), épistémologiques (quelle est notre mode de fonctionnement logique), et méthodologiques (comment comptons-nous atteindre nos objectifs).

La question des valeurs est au centre de la réflexion sociale démocratique européenne3. Elle est pour la gauche un enjeu de survie dans la mesure où ses valeurs sont complexes et présentent un éventail de modes axiologiques dont le langage courant peut s’emparer sans ménagement, aussi bien que l’intellectuel mal intentionné peut les exploiter sans vergogne. Ces valeurs s’expriment souvent en des termes auxquels il est difficile de s’opposer : la solidarité, l’humanisme, la justice sociale, la protection des plus faibles. La droite, par contraste, base son discours sur des notions plus pragmatiques d’efficacité, de mérite, de punitions justes et de rétributions durement gagnées, des concepts plus faciles à transcrire et à traduire d’une langue et d’une culture politique à l’autre. Dans les valeurs parfois grandiloquentes de la gauche, se diluent souvent de bonnes intentions sans portée aucune : s’il est difficile de s’y opposer, il devient également difficile d’y adhérer de façon convaincante.

Dans l’effort de définition de ce que sont les valeurs de la gauche, on a donc recours à des éléments circonstanciels très fort : « S’il y a injustice, où se trouve-t-elle ? », demanderont les opinions publiques. S’il doit y avoir solidarité, avec qui et comment doit-elle s’exprimer ? Si nous devons en protéger certains, lesquels ? Et qu’est-ce donc que cet humanisme si c’est plus qu’un discours ? Contrairement à la vision conservatrice de la droite, ou au laisser-faire prôné par les libéraux, l’humanisme de gauche se voit régulièrement mis en demeure d’expliquer ses raisons en fonction des conjonctures et des cultures populaires. Cela n’est pas injustifié : si l’on se veut progressiste, quoi de plus naturel que de se voir demander un progrès continuel dans le développement d’une narration à l’appui des idéaux que l’on défend.

C’est alors que la situation devient, dans un cadre européen et supranational, particulièrement complexe. Car les sociétés européennes sont diverses : leurs langues sont différentes, leurs cultures politiques et sociétales idiosyncratiques. L’idée de ce qui est juste varie selon que l’on aborde la justice sociale en Italie du sud ou en Suède rurale. La solidarité en Grèce n’est pas la même qu’en Pologne ou au Danemark. Les concepts de protection sociale en Allemagne, au Portugal et en Roumanie sont très différents. À la racine de ces différences, se trouve leur expression dans un socle de valeurs essentielles propres à chaque culture, et à sa situation particulière au moment où elle les exprime.

Dans une contribution au volume IV de la série « Next Left », Ania Skrzypek étudie en profondeur le détail des valeurs avancées comme fondamentales par les partis de gauche européens membres du Parti socialiste européen (PSE). Parmi la diversité des valeurs annoncées dans les diverses chartes et programmes étudiés, celles de liberté, d’égalité et de solidarité reviennent de façon presque systématique. S’y ajoutent les valeurs de tolérance, de respect et de justice sociale4. Comment ces valeurs s’articulent-elles dans un contexte de coopération politique européenne, et comment les définir de façon satisfaisante pour un public dont la capacité à étudier en profondeur les discours politiques est limité ?

La Confluence des Valeurs

Qu’entend-t-on par « valeurs » ? A. Skryzpek cite Ralph Keeney : « Les valeurs sont ce qui nous importe. »5 Tout en étant valide, cette définition est plus fonctionnelle dans le cadre d’une analyse des processus décisionnaires et des valeurs qui les sous-tendent que dans celui, qui nous intéresse, du fondement de culture politiques différentes. Lorsque l’on considère les valeurs qui sous-tendent nos idéologies, il est important d’aller au delà des processus conscients de détermination de ce qui est bien, ou souhaitable, et mal, ou néfaste. Il convient alors de se référer à  des systèmes de valeurs morales que l’ont appelle axiologies. Ces axiologies sont présentes dans la culture politique d’un pays (ou d’une région) et d’un continent, et sont intimement liées à son histoire, sa culture populaire et gouvernementale, son langage, son identité propre, consciente et inconsciente. Elles constituent des systèmes sibyllins et relèvent de l’enchevêtrement d’une multiplicité de facteurs que Michel Foucault appelait « les mots, les choses, et leur ordre »6.

L’histoire force, par des séquences événementielles complexes, une confluence de ces systèmes de valeurs par le truchement de l’intégration politique. Dans l’histoire européenne, les traités de Westphalie, les révolutions anglaises et françaises, le congrès de Vienne, les guerres de succession espagnole et les accords auxquels elles ont donné lieu représentent des évolutions politiques (menant vers une intégration accrue des structures de gouvernance du continent), mais également axiologiques. C’est en effet depuis les traités de Westphalie que l’on conçoit un État en dehors du droit divin, depuis les révolutions de 1688 que l’on conçoit des libertés individuelles, de 1789 des droits universels, de 1848 la citoyenneté et donc un droit inaliénable inscrit dans la loi du pays auquel on appartient. Un des grands théoriciens de cette évolution axiologique, Friedrich Nietzsche, parle de généalogie de la morale, et appelle de ses vœux une étude poussée de son déroulement7.

Ce déroulement est en effet multiforme et ne se réduit pas à la seule question de ce qui est bien ou mal : il s’étend à la définition de ce qui est, la première étape en étant le choix de termes, et donc d’un langage. Le sociolinguiste John Joseph formule une distinction importante entre la fonction communicative du langage, et sa fonction interprétative8, allant jusqu’à suggérer que la fonction d’interprétation de ce qui est (de ce qui existe, du réel) pourrait être la fonction primordiale du langage. De la même façon, Nietzsche insiste sur la fonction essentielle du sujet dans la détermination de la valeur donnée à l’objet observé, le sujet se désignant comme Agathos (noble) et identifiant l’Autre comme Deilos (plébéien)9. On trouve bien sûr cette distinction dans la désignation de peuples « barbares » appliquée par les Anciens aux non-Grecs, c’est à dire ceux qui n’étaient pas eux-mêmes, qui étaient étrangers à leurs valeurs10.

Mais l’analyse nietzschéenne ne se réduit pas à constater une séparation entre le noble et l’impur. Nietzsche voit dans le développement de l’histoire humaine une évolution axiologique qu’il est essentiel de retracer afin de comprendre les mouvements en apparences abscons des nations, des êtres qui les constituent et des sociétés qu’ils forment. Nietzsche reproche à Kant et aux philosophes rationalistes d’avoir remplacé le concept de Dieu tel qu’il était utilisé à l’âge classique par une foi aveugle en la raison (et la vérité), faisant évoluer la formulation du paradigme scolastique, mais en préservant le cadre conceptuel11. Il est important de noter que selon Nietzsche il n’existe pas de vérité propre, mais une multiplicité d’interprétations concurrentes les unes des autres. Il peut ressortir de cette perception une relation de confrontation à l’autorité d’un système qui serait injuste de par sa nature12. Nous choisirons ici une approche plus optimiste, qui considère possible la conjonction d’axiologies différentes mais liées par une histoire commune, dans un processus de confluence potentiellement harmonieuse.

L’importance du langage est essentielle dans la formation de valeurs, et le débat se poursuit sur la question de son rôle précis dans ce processus, en tant qu’élément révélateur ou constitutif de la capacité de penser13. Aux fins de conceptualisation de notre effort d’analyse, nous considérerons ici que le langage est un filtre conscient au travers duquel s’exprime et se forme le cadre conceptuel au sein duquel les valeurs évoluent constamment.

Sous-tendant ce mode axiologique, se trouve la position ontologique qui lui correspond, c’est à dire la perception de qu’est le monde qui nous entoure. Il est important de comprendre que ces conceptions, ou cosmologies, demeurent aujourd’hui très éloignées les unes des autres, malgré les éléments forts de coalescence introduits par l’ère industrielle. Certes, nous avons évolués vers une perception communes de ce qu’est une voiture, un avion, de l’argent14. Mais nous conservons des conceptualisations et des valeurs liées aux spécificités de nos systèmes de pensée et d’organisation sociale qui varient considérablement selon les pays, les sociétés, les nations. La diversité linguistique et culturelle de l’Europe, comme celle du monde, est donc l’expression d’une diversité d’interprétations de l’existence, lesquelles se rapportent à différentes sociétés recelant chacune leurs modes de vie, leurs modes de pensée et leurs modes divers d’interactions sociales.

Ceci est aujourd’hui particulièrement visible dans le cadre des enjeux de financement des systèmes de protection sociale en Europe. Maria Jepsen15 note les différences structurelles rendant l’harmonisation du financement de la protection sociale si difficile en Europe : du système social-démocratique scandinave au modèle libéral anglo-saxon, de la structure corporatiste allemande à celle, mixte, des pays méditerranéens où la vie familiale joue un rôle important dans la prise en compte des besoins des individus, jusqu’au modèle français à la croisée de ces multiples chemins. Ce n’est pas uniquement que les conceptions de la protection sociale sont différentes, mais que ce qui semblera juste à un Anglais (comme la retraite par capitalisation, par exemple) pourra sembler inacceptable à un Italien, et vice versa. C’est à dire que ces conceptions différentes relèvent de valeurs différentes, et parfois, divergentes.

Ce n’est pas là une nouveauté. Mais ce qu’il importe d’intégrer à toute réflexion politique sur les questions européennes, c’est le processus de confluence des valeurs, s’exerçant sur les populations comme une force tectonique à l’œuvre en permanence, discrète par sa lenteur mais intraitable dans son inexorable avancée. C’est lors des séismes qu’elle cause que cette tectonique est remarquée pour sa force et sa violence en apparence inexorable.

Le grand vertige

Nous vivons l’un de ces séismes, qui secoue notre continent et dont les tremblements qui nous saisissent depuis plus de quatre ans ne sont peut-être que les signes avant-coureurs d‘une secousse de plus grande ampleur. La crise financière, par le biais de la dette, en est l’expression saillante. Que cette dette reste privée ou qu’elle soit rendue publique (par le biais de la position de l’État comme garant de la stabilité financière du pays et prêteur en dernier ressort), elle exprime la difficulté de nos sociétés à vivre selon leurs moyens, et donc selon les valeurs qu’elles se fixent elles-mêmes, qu’elles soient financières ou morales. C’est ce tremblement du terrain de nos certitudes ontologiques qui cause la fuite en avant d’un système de financement. Ce système constitue la liaison des différents acteurs de la société par l’argent comme mécanisme de distanciation basé sur la confiance (ou le « crédit »). Selon le sociologue britannique Anthony Giddens, l’argent est de fait un mécanisme de liaison entre les dimensions d’espace et de temps qui implique foi dans le système qui en garantie la valeur, ainsi que confiance dans l’Autre avec lequel un lien est établi par l’utilisation de cette valeur d’échange fiduciaire16. C’est ce caractère fiduciaire qui se retrouve dans les valeurs morales nous permettant de nous concevoir un sens identitaire commun, tout d’abord par l’échange communicatif (la seconde fonction du langage, selon Joseph), puis par la construction d’institutions communes qui constituent les cadres de l’échange commercial, et de la négociation politique17.

Voilà comment en l’espace de quatre années se sont transformées des faillites de banques américaines en une crise de société européenne : les valeurs de liberté et de conquête qui avaient fait l’Amérique et reposaient dans les coffres de ses financiers tout-puissants, rentrent penaudes au bercail de leur mère nourricière : l’Europe des Lumières et son projet de gouvernement universel, fondé sur les droits des individus et la protection des plus faibles. « Et maintenant, dit le Rêve américain, que fait-on ? » Nous cherchons la réponse.

Avant de pouvoir nous poser véritablement cette question, nous devons dépasser le vertige qui ne manque d’accompagner les moments historiques de confluence axiologique. Ces vertiges ont coûté à notre humanité de telles misères en vie sacrifiées, innocents inculpés et opportunités gâchées : fallait-il vraiment couper la tête à tant de citoyens avant de pouvoir proclamer leurs droits inaliénables ? Et qu’avait besoin le monde de deux guerres mondiales pour voir naître une charte des Nations Unies, quand dès la Renaissance et l’âge classique Thomas More, Hugo Grotius, l’Abbé de St-Pierre, Rousseau ou Kant avaient tenté de penser une forme de droit universel ? Le bon sens aurait commandé de porter attention aux conseils bienveillants des philosophes et d’éviter les massacres qui naissent de la discorde. Mais le bon sens n’est pas la seule force qui dirige ce monde, et les théories philosophiques ne touchent souvent que quelques individus au sein de ce que le constructivisme appelle « communautés épistémiques »18.

Lorsque le vertige s’installe, il commande la peur, le ressentiment, l’ostracisme, le rejet.

Le vertige est ici compris comme la manifestation par la communauté d’un pays, d’une région ou d’une nation quelle qu’elle soit – qui partage plus qu’un langage, un « espace Public », au sens que lui donne Habermas, des réseaux d’informations partiaux et nécessairement biaisés19, une conscience populaire qui se nourrit de croyances et de perceptions déformantes20 – de la difficulté à recevoir et accepter une évolution paradigmatique telle qu’elle lui est présentée, soit par les pouvoirs publics, soit par les médias, soit par le bouche à oreille (virtuel ou non), et la façon dont le nouveau paradigme est avancé.

Le rôle du langage dans ce malaise est encore une fois celui d’un filtre plutôt que d’une cloison : il n’est pas utile de considérer le langage comme la cause du malaise que nous appelons ici « vertige ». Cela reviendrait effectivement à dire que l’interprétation du réel en mouvement (le langage) est la cause de son refus (le refus du mouvement inhérent à l’évolution du monde), et donc impliquerait qu’une autre interprétation est possible, ce qui est un truisme. Il est important de comprendre que dans notre analyse, l’interprétation est la réalité. Le langage, qui dans sa double fonction interprétative et communicative est l’expression de cette réalité, ne peut donc être la cause du malaise exprimé par la conscience collective (le vertige). Il n’en est qu’un des éléments révélateurs. Il ressort de cette compréhension du vertige que la confluence axiologique ne commande pas nécessairement une confluence linguistique, ou du moins que le lien entre les deux reste souple.

Revenons, pour illustrer ce point, à l’exemple saillant de la dette. La dette est-elle liée à une faute commise (par les débiteurs) ? Est-elle le résultat du caractère inégalitaire, voire oppressif du système financier ? Est-elle le résultat d’une incapacité de la classe politique à veiller à la durabilité de ce système ? Ou est-elle la révélation de l’excès insoutenable de consommation dans lequel vivent nos sociétés dites « développées » ? Les éléments de langage employés dans ces différentes propositions normatives sont des outils révélateurs de différents courants axiologiques (différentes interprétations éthiques de la question de la dette), mais ce sont aussi des outils dont la perception reste flexible, et qui dépendra du sens attribué à des notions comme le crédit, la faute, le développement, l’équilibre social. Il y a donc dans le langage un rôle de lien ontologique, non pas en tant qu’élément constitutif du socle axiologique, mais en tant qu’outil interprétatif et de communication d’une perception souple des concepts normatifs qui le constituent.

Nous commençons donc à percevoir une image analytique des liens qui existent entre perception émotionnelle crue, interprétation et communication par le biais du langage, formation d’une structure conceptuelle normative qui deviendra la base du construit social21, puis institutionnel sur lequel repose l’organisation des rapports humains, commerciaux ou autres. La question de l’accord sur des normes communes est posée par Jean-Marc Ferry dans le cadre d’une réflexion sur le modèle participatif de démocratie européenne22. J.-M. Ferry, cependant, considère le fait multiculturel comme la manifestation d’une opposition entre communautarisme et multiculturalisme, une position qui est démentie par les faits dans un pays comme la Grande-Bretagne, où le communautarisme est la base de la société multiculturelle. La question des normes communes doit aller plus loin qu’un accord apparent entre différentes interprétations normatives sur la base d’un consensus forcé. Le consensus lui-même, républicain, monarchique, national ou supranational, est le résultat d’une évolution généalogique des valeurs collectivement acceptées par le « socius ». Il est donc nécessaire de  désamorcer les réactions de refus obscurs d’une société apeurée devant l’avancée d’un avenir incertain, où la confluence des valeurs entraîne un glissement de leurs fondements. Répondre à cette angoisse, à ce « vertige des valeurs », est une façon de progresser dans l’accomplissement non pas seulement d’une confluence forcée des mouvements tectoniques qui agitent nos axiologies idiosyncratiques, mais d’une congruence des courants axiologiques dans un cadre collectivement acceptable, un cadre qui serait donc véritablement progressiste.

Comment répondre à l’angoisse identitaire qui accompagne l’évolution axiologique de nos sociétés, et la confluence des valeurs qui en résulte ? Comment passer d’une confluence souvent conflictuelle, tourbillonnante et confuse, à une congruence harmonieuse qui sans être parfaite, serait pour le moins pacifique ? Comment s’assurer que cette congruence n’est pas uniquement de surface, un accord de principe, mais profonde, et permet d’atteindre tous les niveaux d’application du déterminant axiologique : ontologique, linguistique, sociopolitique, économique et financier ?

Une approche conceptuelle nouvelle, et adéquate, est nécessaire.

La carène articulée

Une vision du résultat escompté de la confluence identitaire dans une structure de gouvernance commune est indispensable. Mais la prise en considération de cette structure ne peut se limiter à son caractère institutionnel, au sens d’une institution publique. L’approche conceptuelle de la congruence des valeurs doit être holistique, et considérer le phénomène axiologique dans son entièreté.

Cette structure, ou plutôt, la vision qui pourrait préfigurer un équilibre des valeurs de la Nation humaine dans une telle structure, reste aujourd’hui prisonnière de paradigmes abscons, que Kierkegaard appelait abstractions universelles : l’illusion selon laquelle une structure représente à elle seule la réalité de l’existence23. Une structure conceptuelle, ou la conception d’une structure, ne sont bien sûr que des outils, mais le langage regorge de signes révélateurs de ce que l’inconscient populaire associe à la gouvernance : on parle en français de « fonction suprême », de « sommet de l’État », de la « volonté du chef de l’État » comme de l’expression démiurgique d’un intérêt supérieur sur lequel repose la confiance d’un peuple dans son appartenance identitaire – et donc la justification commune à l’acceptation de l’Autre comme un voisin et non un ennemi.

La structure de confluence, et de gouvernance, se doit de ne rester qu’outil, et non instrument de soumission à un ordre autocratique, qu’il soit imposé par la pensée ou par le droit. Cependant, la réalité de sa fonction identitaire ne peut être sous-estimée. Dans la supranationalité des organismes régionaux (tels l’UE), dans celle des institutions de l’ONU, comme dans les profondeurs des déterminations axiologiques les plus complexes, on se doit donc de concevoir une structure en carène articulée, telle une cage à grimper géante dont les barreaux et joints sont tous flexibles. Cette flexibilité est la condition nécessaire de la gestion du vertige qui s’ensuit de la confluence axiologique, et l’articulation des jointures est rendue nécessaire par la diversité infinie des interprétations en constante évolution. Dans la carène, tout se rejoint et tout est lié. Il n’existe donc pas de question ou de débat qui ait un sens en dehors du cadre large et incluant du tout conçu comme une lien souple. Toute vision commune doit donc procéder d’une représentation commune du fait identitaire partagé par le peuple qui s’engage dans une démarche d’acceptation d’une évolution commune.

Il peut sembler illusoire de penser qu’une telle structure conceptuelle puisse se tenir debout. Mais c’est bien là l’erreur naïve des abstractions universelles qui croient se tenir sur une terre plate n’existant que dans la connaissance par ressemblance de l’époque post-médiévale24. De fait, la Nation humaine ne vit pas sur une terre plate, mais dans un univers en apesanteur, au milieu duquel nous nous tenons en équilibre dynamique et cyclique. C’est bien cette rotation dynamique qui nous permet de bénéficier de la pesanteur terrestre, et de nous y tenir droit. C’est également le caractère cyclique de la confluence des valeurs qui permettra à la carène articulée de trouver son équilibre. La terre des structures conceptuelles et ontologiques sur laquelle repose nos systèmes de valeurs n’est pas un univers plat et statique, c’est une matrice en mouvement qui génère la vie, la pensée, la force, comme notre planète génère la pesanteur. Toute valeur, toute perception et toute interprétation est par définition en mouvement, le mouvement (le changement) étant la seule constante dans son existence dynamique. Ce terreau axiologique est notre substance existentiale, au sens spinozien du terme25, et il se définit par un mouvement cyclique, non par une unité statique. La carène est donc une conceptualisation dynamique, en tant qu’elle est outil – ou mode d’appréhension – et une entité dynamique, en tant qu’elle est appréhendée, c’est à dire dans son application empirique.

Applications empiriques

Comment applique-t-on empiriquement le concept de carène articulée ? Et en quoi est-il adéquat à promouvoir la congruence de courants axiologiques idiosyncratiques ? Considérons ici trois approches : du général vers le particulier (descendante), du particulier vers le plus général (ascendante), et à un niveau intermédiaire (intermédiaire).

Approche descendante

Prenons l’exemple concret de la responsabilité collective face aux drames individuels : « Ai-je la responsabilité de venir au secours d’un autre être humain en danger si je suis informé du péril qui le menace et si j’ai les moyens de lui porter secours ? »

Il existe en France une provision légale qui impose assistance à personne en danger. Mais le sujet ici est de savoir si une telle assistance est moralement requise de la part de toute communauté humaine envers toute autre, quelle que soit sa situation dans le monde. C’est bien là le débat qui se pose au sein de l’Organisation des Nations Unies et dans nos médias depuis les massacres génocidaires du Rwanda et de la Bosnie dans les années 1990, au sujet du concept récemment formé de « responsabilité de protéger »26 & 27. Au-delà des enjeux pratiques posés par cette question, et du caractère émotionnel de la réaction des peuples, se pose à nouveau la question des valeurs et de leur confluence.

L’histoire de la notion de Droit et de droits est byzantine et sa réalité intersubjective. Le « Fa » chinois est différent du « Fiqh » islamique, et tous deux sont éloignés de la diversité des droits coutumiers qui s’appliquent encore dans nombre de régions du monde, et des droits Communs ou Napoléonien (codifié) appliqués dans la plupart des États-nations contemporains. La notion de ce qu’est un « droit » est elle-même variable et intersubjective, c’est à dire dépendante de la perception acceptée mutuellement par les individus et sociétés qui consentent (ou sont forcés) à se soumettre à un ensemble de règles communes basé sur le droit en question.

L’accomplissement de la Commission de Rédaction de la Déclaration Universelle des Droits Humains entre les années 1946 et 1948 est donc considérable, à une époque où le monde était ébranlé par les conséquences d’une guerre mondiale, le début de la décolonisation d’une grande partie de son territoire et sa scission en deux blocs opposés et rivaux. Les débats qui y ont mené reflétaient dans une certaine mesure la diversité des perceptions en présence de ce qu’est la valeur de la personne humaine28. Le succès que représenta la rédaction d’un document établissant des droits humains et sur lequel l’ONU a pu s’appuyer depuis sa fondation pour déterminer les limites de son mandat et justifier son action est raconté par Hernán Santa Cruz, membre chilien du sous-comité de rédaction : « J’ai eu le sentiment très clair que je participais à un événement d’une portée vraiment historique au cours duquel un consensus s’était fait sur la valeur suprême de la personne humaine, une valeur qui n’a pas trouvé son origine dans la décision d’une puissance de ce monde, mais plutôt du fait même de son existence qui a donné naissance au droit inaliénable de vivre à l’abri du besoin et de l’oppression et de développer pleinement sa personnalité. »29

L’enthousiasme de M. Santa Cruz est tempéré par les réserves exprimées par M. Chang lors de la rédaction (qui trouvent aujourd’hui leur écho dans le débat sur la ratification du troisième élément de la Charte Internationale des Droits de l’Homme30), mais aussi dans les critiques régulièrement adressées par les gouvernements et la presse des pays émergents envers le caractère biaisé de la déclaration et des institutions des Nations Unies. Si la critique est facile et parfois excessive, elle repose sur des revendications légitimes, comme celles de voir le Conseil de Sécurité représenter plus fidèlement la réalité du monde contemporain31, et la structure de l’ONU la diversité historique de la communauté humaine. L’universitaire américaine Anne-Marie Slaughter a démontré de façon convaincante combien les institutions de l’ONU furent construites comme une projection globale du New Deal de Roosevelt, tant le rôle de l’administration américaine et ses multiples commissions issues des ministères les plus importants fut prépondérant32.

Cependant, ces institutions sont celles dont dispose la Nation humaine, et les outils principaux de sa gouvernance commune. Le consensus axiologique qu’elles révèlent résulte d’une confluence des valeurs s’insérant dans la structure institutionnelle la plus ou la mieux adaptée à garantir l’équilibre, et donc la survie de la Nation humaine (ou du groupe humain concerné). Le fait que l’ONU soit biaisée n’est donc pas nécessairement le fait délétère d’une domination indue de la part du monde occidental sur le reste de la Nation humaine, mais également le reflet d’une nécessité, celle de garantir la paix par le biais d’organisations suffisamment puissantes, et donc suffisamment compétentes.

L’un des premiers intellectuels à s’intéresser au fonctionnement des organisations internationales modernes, l’Américain Inis Claude, distingue les organisations internationales de ce qu’il nomme l’Organisation Internationale, ou un processus au sein duquel les États consentent à s’engager les uns vis-à-vis des autres par le biais d’agences les représentant33. Alors que l’étude des institutions internationales a par la suite évolué vers une étude des régimes internationaux qui déterminent les normes acceptables de comportement, les experts tendent aujourd’hui à considérer les institutions internationales comme « un ensemble interconnecté persistent de normes et de règles procédurales et constitutives »34. Ces règles et normes définissent les contours du débat en son cœur, et sont les outils conceptuels qui permettront d’y fomenter une consensus nouveau, résultat du processus de confluence axiologique décrit plus haut, qu’il soit obtenu pacifiquement ou non.

Malgré la valeur considérable du consensus de 1948 sur les droits de l’homme, on ne peut que regretter qu’il n’ait pu se produire qu’à la suite de la guerre la plus meurtrière de l’histoire de l’humanité, et non en prévention de celle-ci. Doit-il en être de même pour toutes les évolutions de la conscience humaine ? Doit-on attendre un autre génocide avant qu’un consensus n’émerge sur le droit à la protection des personnes, sans différenciation de nationalité, de situation géographique, d’origine ethnique, de conviction politique, religieuse ou autre ? Un parti pris idéologique progressiste sera de refuser la fatalité du désastre et de prendre les devants de l’évolution du monde ; la responsabilité attenante à ce parti pris est de comprendre les vastes différences de perception qui existent dans chaque système de valeur de ce qu’est cette évolution, et de penser une cadre conceptuel permettant le processus de congruence.

La carène propose un tel cadre, permettant de mettre en relief la complexité des implications axiologiques à tout débat normatif et de proposer une vision optimiste du processus de confluence, de concevoir les voies d’une empathie constructive au sein du processus de relations internationales et dans la perception qu’en ont les peuples, ainsi que de mettre en perspective les processus décisionnaires afin qu’ils puissent leur être permis de progresser à un rythme idoine à leur déroulement pacifique.

Dans le cas du débat ouvert par Kofi Annan en 2000 sur la responsabilité de protéger (R2P), il est devenu clair que la perception collective d’un concept aussi nouveau et à l’application aussi dramatique conditionnera largement son acceptation35. Il est essentiel de savoir expliquer aux opinions publiques, et donc, en amont de cet effort, de savoir théoriser les différences de perceptions qui existent entre ce que peut représenter le droit à l’intervention militaire dans la cadre de la R2P dans la situation d’un massacre en Libye, de l’envoi d’une force en Syrie ou en RDC, ou d’une intervention militaire en Mer de Chine.

La poursuite de ces confluences décisionnaires, fussent-elles globales dans le cadre de la protection des personnes, de l’environnement ou de l’équilibre politique (et de la protection sociale)36 ou européennes dans le cas de la question du financement des États et de leurs systèmes de protection sociale, engage donc une confluence axiologique, dont la congruence est la condition d’un déroulement pacifique. Le vertige identitaire qui s’associe à la confluence constitue un risque d’instabilité et de frustration pouvant mener à la naissance de haines tenaces et d’angoisses délétères, voire à des tensions belliqueuses qui peuvent dégénérer en conflits armés. Il est donc important de creuser les sillons de l’unité politique par le biais d’une unité axiologique dès les premières secousses de ce séisme identitaire.

Approcher ces questions par le biais d’une perception holistique de leur contenu permet de mettre en perspective les différents acteurs conceptuels de la difficulté que représente la confluence décisionnaire. Le concept de carène articulé vise à participer à cette approche holistique.

Approche ascendante

Prenons à présent la question dans le sens inverse : du particulier vers le général. Penchons nous sur le mode de fonctionnement, pour prendre un exemple extrême, de la pensée intime d’un jeune musulman choisissant la voie du terrorisme djihadiste. Encore une fois, la question de la définition des termes est celle qui se pose avant toute autre. Que signifient les termes de Jihad, de Charia, de Salafiya ? Au-delà d’une traduction plus approprié des termes eux-mêmes (la charia, par exemple, qui relève d’une interprétation subjective des écritures, est souvent présenté dans la presse comme une loi tribale écrite et immuable), c’est bien la perception de ces notions qu’il compte d’observer, le rapport au combat dans la culture de cette personnes, comme un moyen de rejoindre l’ineffable ou le spirituel, la perception d’être oppressé, humilié, pour des raisons historiques ou en raison de la façon dont est véhiculée l’histoire récente dans son environnement social.

Quelles sont donc les influences qui créent la disjonction dont est victime le jeune musulman épris d’absolu qui s’engagera dans un djihadisme suicidaire (au sens littéral comme au figuré, d’emmener sa propre communauté sur un chemin d’auto-destruction, ou de négation de ses propres opportunités de développement) ? Quels sont les rendez-vous manqués de la pensée intime de ce jeune homme qui le poussent à s’engager sur la voie de sa propre perte en croyant de bonne foi qu’elle est celle du salut ? Et plus encore, qui poussent des communautés toutes entières à suivre un chemin similaire, tels les soldats de l’armée de Napoléon s’engageant gaiement au service de leur empereur sur la route d’une campagne insensée qui en verra revenir moins d’un sur dix ?37

Une étude inspirée de ces tendances et des émotions qui peuvent les causer dans la pensée intime des individus, d’un peuple ou d’une nation fut menée par Dominique Moïsi en réponse à la théorie du Choc des civilisations de Samuel Huntington38. Plutôt que d’opposer des sphères de civilisations concurrentes les unes des autres comme le fait Huntington39, D. Moïsi choisit de mettre en évidence les différences d’émotions dominantes entre grandes régions du monde, et distingue trois tendances majeures : vers l’espoir, l’humiliation et la peur. Sans toutefois aller suffisamment loin dans l’étude des implications de ces courants émotionnels sur les peuples qui les vivent, l’effort de D. Moïsi offre le mérite de se pencher sur la perception intérieure d’une réalité intersubjective, plutôt que sur une approche monolithique globale inapte à appréhender la complexité du fait identitaire.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit. On pourrait également se référer à l’exemple de la perception qui fut celle, en Europe, du voyage de la flamme Olympique dans les mois qui ont précédé les Jeux de Pékin, et plus particulièrement à Paris. L’immédiateté des médias modernes fit que le public chinois ne perçut que ce qui apparaissait comme la molestation d’une jeune fille handicapée par la foule parisienne, alors que les médias occidentaux rapportaient la manifestation indignée d’activistes pro-tibétains. Ce qui n’était qu’une affaire de perception dans l’esprit des individus devint en quelques heures une question politique brûlante. Les Chinois boycottèrent les magasins français, affichant des petits cœurs sur leurs fenêtres pour défendre leur attachement à leur patrie, pendant que la France s’indignait du comportement d’un peuple perçu comme intolérant et sa culture comme anti-démocratique : de la perception individuelle découle un perçu collectif, puis naît une réalité politique.

Comment conceptualiser ce lien hors-la-loi entre perception individuelle et superstructure politique, qui semble n’obéir à aucune règle sinon celles de l’instant, de la passion ou de l’instinct ? Comment établir une grille de lecture, d’analyse, de ce qui ne semble pas vouloir faire sens, les sentiments des êtres humains et la façon dont ils se rallient les uns aux autres pour former des courants axiologiques forts, de surface (l’indignation liée aux manifestations parisiennes de 2008, qui n’empêcha pas les Jeux, ou celle nées de la diffusion d’une vidéo anti-islamique sur You Tube en 2012, qui retomba en quelques semaines), ou de profondeur (la persistance d’une djihadisme violent en Islam depuis plusieurs siècles, le ressentiment impérialiste tenace qui pénètre encore aujourd’hui de nombreuses couches de la société chinoise) ? La carène propose cette lecture, et suggère la possibilité d’un tel lien.

Plus proche de l’Europe, et en son sein même, l’approche ascendante peut nous permettre de mieux comprendre et de mieux faire face à la tendance extrémiste qui s’empare de nos sociétés dès que celles-ci font l’expérience d’une crise des valeurs comparable à celle que nous connaissons actuellement. L’extrémisme, de gauche comme de droite (même s’il s’est montré plus violent à droite dans les sociétés européennes depuis la fin de la guerre froide) est lié à la perception tronquée d’une réalité incomprise, dans laquelle le sujet ne se reconnaît plus. Incapable de former une interprétation sensée du monde qui l’entoure, l’individu perd patience et abandonne la volonté de faire l’effort d’intégrer les changements du monde qui l’entoure. Il souhaite voir demeurer les choses en l’état, un état qu’il comprend et qu’il peut accepter.

Mais cette réaction d’incompréhension est à double sens. L’extrémisme n’est pas seulement le résultat d’une incompréhension du monde par une population qui succombe aux sirènes du poujadisme, mais aussi de l’incapacité de la superstructure sociale à intégrer des questions (et à leurs fournir des réponses) qui se posent de façon brûlante aux populations concernées. Lorsque le Front National en France affiche, lors d’une de ses campagnes, le slogan : « Français, ce n’est pas qu’un passeport, c’est une identité ! », la question posée est pertinente. Si elle touche au cœur des préoccupations de 17% de l’électorat présidentiel qui ne lui trouvent pas de réponse dans le discours des partis modérés, alors il y a clairement une disjonction entre ce discours et la réalité sociale du pays, que Marx et Engels auraient appelé fausse conscience.

Qu’est-ce qu’être Français, en 2012 ?

Évolue-t-on vers un monde ou la nationalité n’a guère plus de sens qu’administratif, après 200 ans de nationalisme à marche forcé qui ont apporté à l’Europe la citoyenneté et la garantie de droits à la naissance, le respect de frontières établies, l’État de droit, et un système de protection sociale ? Ou bien les accomplissements du nationalisme sont-ils suffisants pour contrebalancer ses excès fascistes et mercantilistes, et justifient-ils que la structure nationale demeure comme seule garante de l’identité collective ? Existe-t-il une troisième voie entre ces deux solutions apparemment opposées, ou une palette de réponses mitigeant les deux ? Si nous n’acceptons pas de poser ces questions, alors nous n’avons pas étendu la carène au-delà d’un éventail trop restreint, qui exclue ceux et celles d’entre nous pour qui la question identitaire se pose de façon quotidienne et souvent douloureuse : « Qui suis-je ? », « Quel est ce monde dans lequel je vis ? », « Les comportements dont je suis témoin au quotidien sont-ils acceptables ? », « M’est-il donné de me reconnaître dans la société dans laquelle je vis ? »40

Encore une fois, le concept de carène articulée nous ramène à la jonction critique qui existe entre les aspects multiples du construit sociopolitique, et ses sources dans la perception individuelle et collective aussi bien que ses conséquences dans la sphère économique et financière. À la question de l’extrémisme il importera de penser une réponse humble et tenant compte de la réalité vécue des individus qui y succombent, ainsi que de leur rapport au corps politique. La carène peut fournir un cadre normatif et analytique qui contribue à former de telles réponses.

Approche intermédiaire

De la Nation humaine dans son ensemble, aux tourments intimes des individus qui la composent, nous avons en quelques pages brièvement traversé la multiplicité kaléidoscopique des couches interprétatives, spatio-temporelles et sociopolitiques qui constituent notre petite communauté humaine, seule sur son caillou mijotant, étroitement nichée entre la membrane atmosphérique qui l’entoure et sa surface refroidie. Est-il possible de pénétrer par effraction dans la carène, non par son centre gravitationnel de façon conceptuellement descendante, ni par sa périphérie atomique, de façon conceptuellement ascendante, mais à un point donné, selon notre convenance ? Cette approche pourrait être appelée intermédiaire41.

Revenons, pour conclure cette palette d’application empirique, à l’exemple de la crise dite « de la dette », qui touche les sociétés les plus riches de notre monde depuis 2007 et 2008. La narration a évolué et nous sommes passé de « crise des subprimes » à « crise financière », puis à « revers économique », puis à « crise de la dette souveraine » en Europe, « crise fiscale » aux États-Unis et « crise de l’Euro ». Nous parlerons ici de crise de l’endettement des sociétés riches. Au-delà du surendettement des banques qui sont à l’origine des dévaluations boursières de 2007 et 2008, il y a le surendettement des États, des collectivités locales en Europe et des ménages, ainsi que le surendettement du secteur privé42. Sans rentrer dans le détail ici de la nature et structure de la dette, ce qui est un autre débat, il est important de noter les travaux qui ont été réalisés ces dernières années sur la nature du fait monétaire et son importance dans notre société moderne globalisée, ainsi que la régularité avec laquelle les crises d’endettement se sont succédées depuis l’avènement d’une économie globale dans le courant du XIXe siècle, et même bien avant43.

Comme il l’a été précisé plus haut, et comme Rogoff, Reinhardt, Cogan et d’autres le mettent en évidence, les causes des crises d’endettement sont suffisamment claires – ce sont les remèdes qui manquent. L’enthousiasme des marchés comme des pouvoirs publics, et de fait, des populations dans leur ensemble, ainsi que le désir collectivement exprimé par l’engouement pour des promesses non tenables (les « bulles ») sont à la racine des comportements de surendettement. La complexité des systèmes financiers successifs et le poids des facteurs politico-économiques sont bien sûr des éléments tout aussi déterminants. Toutefois, une approche de ce que pourrait être un équilibre dynamique de la structure financière ne peut se faire sans prendre en compte les conceptions paradigmatiques qui sous-tendent les comportements collectifs qui la composent. Comme un conduit de l’irrationalité récurrente de ces comportements que Keynes appelait « les esprits animaux »44, se retrouve un cadre interprétatif conditionné par le flux axiologique dont il ressort. Comment gérer ces conceptions d’une façon qui permette de prévenir la violence des crises à répétition, dont les conséquences dramatiques le seront toujours d’abord pour les plus faibles et les plus démunis ?

Il serait trop long d’effectuer ici un développement sophistiqué sur les liens entre la réalité économique et financière d’une société et la conception qu’en ont ses membres. Il est probablement suffisant de rappeler que l’exploration de ces liens et du caractère irrationnel (ou, dans les termes utilisés par les économistes de la nouvelle économie institutionnelle, de rationalité limitée45) a été l’objet des études de nombres d’économistes dont le travail sert aujourd’hui de référence, depuis le moraliste Adam Smith jusqu’à Amartya Sen en passant par Keynes et Schumpeter. Nous nous tiendrons donc à notre interprétation donnée plus haut selon laquelle la crise d’endettement est une crise des valeurs fiduciaires d’une société qui peine à respecter les normes qu’elle se fixe elle-même. Par la perception du lien intime entre interprétation normative et réalité économique, il devient à nouveau possible de mettre en branle une structure analytique cohérente, qui lie les comportements collectifs aux conséquences qu’ils commandent.

En l’occurrence, la perception que les sociétés riches ont d’elles-mêmes recèle les mêmes incohérences que sa situation de surendettement : les populations des pays dits « développés » vivent dans l’illusion selon laquelle toute une population pourrait avoir accès à un mode de vie aussi élevé que celui des classes moyennes et supérieures : à l’inclusion d’études supérieurs, d’un crédit immobilier, de voyages à l’étranger et de vacances au soleil, ou de sorties régulières. Que ces biens de consommation de luxe soient disponibles ou non, le simple fait de résider dans un pays européen ou nord-américain entraine une exposition forte à une pression sociale véhiculée par la publicité, les comportements collectifs et la narration médiatique dominante qui incite à penser qu’ils sont disponibles. L’illusion grandit selon laquelle le pays tout entier a droit à ces biens et services. Comme il l’a été précisé dans l’introduction, les libéraux et conservateurs adoptent vis à vis de ces promesses un discours plus cohérent que les progressistes, et affirment volontiers que de tels privilèges seront disponibles « à tous ceux qui le méritent », ou dans la mesure de la disponibilité offerte par les lois simples de l’offre et de la demande. De telles explications permettent de justifier l’austérité fiscale, la rigueur, la pauvreté relative et les inégalités sociales. Pour les progressistes qui recherchent les ferments d’une société juste et solidaire, il est plus difficile de faire face à l’incohérence du paradigme d’une classe moyenne généralisée. Car enfin, qui tiendra la caisse du supermarché, qui balaiera la rue et fera la vaisselle au restaurant ? Qui vous servira au bar et qui ramassera les poubelles, livrera la nuit et réparera vos fuites ? Une société ne peut vivre sans la contribution de travailleurs manuels, et d’employés peu rémunérés pour des tâches qui sont celles que personne ne souhaite avoir à accomplir. Qui parmi nous en Europe ou aux États-Unis parviendra à convaincre ses enfants que l’avenir leur sourit sous la forme d’un emploi à mi-temps comme caissier de supermarché en horaires décalés ?

Un des paradoxes de l’évolution des sociétés modernes est de voir que certains de ces emplois (plombier, manœuvre qualifié, dans certains cas même agent de surface) sont devenus particulièrement bien payés, et permettent à ce qui était dans les années 1970 la classe ouvrière d’être devenue « embourgeoisée » jusqu’à un certain point46. Il n’en demeure pas moins que le système macroéconomique tel qu’il fonctionne permet aux économies riches de bénéficier d’un taux de change particulièrement avantageux pour l’importation de matières premières et de produits manufacturés en provenance de pays émergents et moins développés. Alors que la production manufacturière a été délocalisée précisément dans le but de réduire les coûts de production et de rendre les biens de consommations abordables à un public toujours plus large, le même public souffre du chômage dans une société européenne qui peine à trouver les sources de développement qui lui permettraient d’exporter à son tour47. Alors que la plupart des exportation européennes sont dirigées vers d’autres pays européens, il devient clair que la question de « compétitivité » rabâchée par les politiciens conservateurs concerne essentiellement la compétitivité de partenaires qui s’opposent les uns aux autres, et non de leur compétitivité sur les marchés mondiaux, qui représentent moins de 30% de leurs exportations réelles48.

La perception collective d’un monde où il serait possible d’avoir tous accès au mode de vie célébré par la culture médiatique occidentale est donc entièrement basée sur la possibilité de dominer la structure économique mondiale par le biais de termes d’échanges favorable49. La conséquence la plus grave de cette illusion n’est pas, comme les théoriciens de la dépendance le croyait, d’empêcher le développement du monde que nous appelons aujourd’hui « émergent », mais de créer un paradigme insoutenable dans la durée, celui d’une société riche dont la richesse dépend de la pauvreté relative50 du monde qui l’entoure et qui se gausse de son succès. De fait, l’illusion d’une indépendance, qui n’est qu’une addiction au crédit pris sur des gains futurs se révélant décroissants, mène au surendettement sans toutefois fournir les moyens de faire face au paiement des intérêts.

À nouveau, la carène articulée fournit un terrain conceptuel d’analyse holistique sur lequel il est possible de débattre des liens et des jonctions critiques qui composent le paysage ontologique, sociopolitique, et économique de notre existence terrestre. Une perception consciente de la souplesse des liens axiologiques qui relient cette structure en carène, de leur perpétuelle évolution dynamique est nécessaire afin de pouvoir manier cet outil conceptuel, et bénéficier de l’étendue de sa portée.

Dans le cas de la crise de la dette, la prescription est clairement de prendre conscience collectivement des limites de notre mode de vie actuel, et d’en accepter l’évolution nécessaire. Cette acceptation, cependant, passe par une évolution de nos modes de pensée, pour laquelle la carène peut à nouveau fournir un terrain conceptuel favorable.

Conclusion. Une perspective progressiste

La carène est-elle un concept structuraliste ? En quoi se différentie-t-elle des analyses systémiques d’Immanuel Wallerstein et de Kenneth Waltz ? La référence au concept de structure ne signifie pas qu’il faille croire en l’existence d’un élément structurel stable ou statique. Alors que Waltz et Wallerstein se réfèrent à une analyse systémique dont la dynamique reste constante (Waltz allant jusqu’à affirmer que l’histoire ne faisait que se répéter, Wallerstein refusant croire en la possibilité d’une évolution équitable du « système monde »)51, la proposition avancée ici repose précisément sur une conception dynamique de la structure. Comme il l’a été avancé par Étienne Balibar : « Toute structure n’a jamais cessé de se transformer et de fait, n’existerait pas si elle n’était en constante évolution dynamique. »52

Plutôt que d’une approche systémique, la carène articulée relèverait plus justement d’une approche écosystémique du vécu et du vivant collectif humain. En quoi la Nation humaine, terme que nous n’hésitons pas à utiliser avec confiance dans le cadre de cet article, est-elle entièrement interconnectée, non pas seulement entre ses parties unitaires, identifiables en termes économiques, financiers, sociaux, politiques ou culturels, mais dans son entièreté comme un tout mouvant qui doit son équilibre à une dynamique qui la dépasse, et qu’elle ne peut qu’accepter avec bienveillance sous peine de succomber à ses propres excès ? En quoi la Nation humaine est-elle une d’avec son environnement, une dans son environnement conceptuel, ontologique et axiologique, non pas parce qu’il est unitaire, mais parce qu’il est de par son caractère intersubjectif interconnecté, et donc un construit collectif ? C’est ce que nous avons cherché à monter ici, et à incarner sous la forme d’un concept que nous voulons aussi flexible que la dynamique cyclique qui sous-tend l’équilibre de l’existence terrestre est flexible, décrivant une réalité qui est la nôtre, celle de notre Communauté humaine : fragile, puissante, durable.

Par le concept progressiste de Carène articulée, nous suggérons donc que la gauche européenne a une responsabilité à l’égard de ses propres engagements, qui lui enjoignent de concevoir un sens aux évolutions du monde contemporain, et de relayer ce sens auprès du peuple qui est électorat comme il est consommateur, population active et non active, utilisateur de services publics et contribuable. Il est de la responsabilité du mouvement progressiste de prendre en compte la réalité de l’influence des comportements et des croyances populaires sur les résultats  de l’action des marchés et des gouvernements, et de relayer la réalité de ce lien vers un public que nous voulons responsable et conscient de ses propres limites. Il est de la responsabilité du mouvement progressiste européen, et global, de gérer la sensibilité des évolutions axiologiques qui, livrées à elles-mêmes, ne manqueront pas de créer d’autres séismes aux conséquences potentiellement catastrophiques.

Il est de notre responsabilité, progressistes de la Nation humaine, de concevoir la rencontre des flux axiologiques qui, en l’absence d’une gestion éclairée, donneront lieu à des conflits institutionnels, commerciaux, économiques et politiques, de civilisations ou de sociétés. C’est par l’engagement citoyen et militant, et la conscience éclairée qui peut en résulter, que nous saurons penser et accomplir ces tâches difficiles, et continuer à semer les graines de la démocratie globale. C’est grâce à la contribution de toutes-s dans l’élaboration d’outils de communication, socioculturels ou politiques que nous y parviendrons. C’est parmi ces instruments que les outils conceptuels seront déterminants dans l’effort d’évolution des modes de pensée qui est requis. La carène peut-être l’un de ces outils.

Notes

1 – D. Campbell, « Political Prosaics, Transversal Politics and the Anarchical World », in Shapiro and Alker, Challenging Boundaries: Global Flows, Territorial Identities, Minneapolis, 1996.

2 – Déclaration de Laeken, citée par J.-M. Ferry, L’Europe, L’Amérique et le Monde, Nantes, 2004.

3 – Next Left, Vol. IV, Progressive Values for the 21st Century, Brussels 2011.

4 – A. Skrzypek, Core Values of Social Democracy, FEPS, 2011.

5 – R. Keeney, Value-focused Thinking, Harvard, 1992.

6 – Michel Foucault, Les Mots et les Choses, Paris, 1966.

7 – Friedrich Nietzsche, La Généalogie de la morale, Leipzig, 1887.

8 – John Joseph, Language and Identity, Hampshire and New York, 2004.

9 – Op. cit.

10 – Cf. Martin Wight, The Three Traditions, London, 1991. M. Wight remarque que l’idée d’une nature humaine universelle ne se développe qu’à partir des conquêtes d’Alexandre, et du concept d’Homonoia (union des cœurs) par lequel il souhaite unir toute l’humanité de façon fraternelle.

11 – Nietzsche, Par delà le Bien et le Mal, Leipzig, 1886. Nietzsche va jusqu’à reprocher à Kant de vénérer la vérité comme une « vierge immaculée ».

12 – C’est la position que Foucault semble prendre. Voir Michel Foucault, Il faut défendre la société, Cours au Collège de France, 1976.

13 – Cf. John Joseph, op. cit.

14 – Un processus qui commença dès avant notre ère avec l’utilisation de l’or et de « biens de privileges » dans le commerce entre les empires chinois et romain le long de la route de la soie. Cf. Mining and Minerals Trade on the Silk Road to the Ancient Literary Sources, 2 BC to 10 AD, Sevillano-Lopez and Gonzalez, IGME 2011.

15 – Jepsen and Serrano Pascual, « The European Social Model: an Exercise in Deconstruction », Journal of European Social Policy, 15 (3), p. 231-245, 2005.

16 – Anthony Giddens, The Consequences of Modernity, London, 1990.

17 – Il est important de noter la definition correcte du terme « institutions », dans ce cas non pas une organisation officielle comme l’ONU ou ses agences, mais un ensemble de règles et de normes qui permettent l’interaction. Cf. R. Keohane, « International Institutions: Two Approaches », International Studies Quarterly, 32 (4), p.379-396, 1988.

18 – J. G. Ruggie, « International responses to technology: Concepts and trends », International Organization, 29, p. 557-583, 1975.

19 – E. S. Herman and Noam Chomsky, Manufacturing Consent: The Political Economy of the Mass Media, New York, 1988.

20 – Cf. « The Money Illusion », concept développé par Irving Fisher, in Animal Spirits, Akerloff and Schiller, Princeton, 2009.

21 – Le « Socius » de Deleuze et Guattari, L’Anti-Œdipe, Paris, 1977.

22 – Jean-Marc Ferry, L’Europe, L’Amérique et le Monde, Nantes, 2004.

23 – S. Kierkegaard, Traité du Désespoir, Copenhague, 1849.

24 – Cf. M. Foucault, op. cit.

25 – Spinoza, L’Ethique, Amsterdam, 1677.

26 – Kofi Annan, Millenium Report, 2000. K. Annan déclare : « If humanitarian intervention is, indeed, an unacceptable assault on sovereignty, how should we respond to a Rwanda, to a Srebrenica, to gross and systematic violation of human rights that offend every precept of our common humanity ? », évoquant clairement la notion d’une humanité commune, le thème central de la Déclaration Universelle des Droits Humains de 1948.

27 – The Responsibility to Protect, Report of the International Commission on Intervention and State Sovereignty, ONU, New-York, décembre 2001.

28 – Eleanor Roosevelt, présidente de la commission, rapporte : « M. Chang était un pluraliste qui soutenait, avec beaucoup de charme,  qu’il n’existe pas un seul type de réalité suprême. La Déclaration, disait-il, ne doit pas se faire le reflet des seules idées occidentales et M. Humphrey devrait adopter une approche éclectique.  Sa remarque, bien qu’adressée à M. Humprhey, visait en fait M. Malik, lequel eut tôt fait de répliquer, et d’expliquer par le menu la philosophie de Thomas d’Aquin. M. Humphrey s’engagea avec enthousiasme dans le débat et je me souviens qu’à un certain moment, M. Chang suggéra que le Secrétariat pourrait bien passer quelques mois à étudier les aspects fondamentaux du confucianisme. »

29 – Ibid.

30 – Cf. China Media Project, février 2013. Il est important de lire l’article publié par les intellectuels chinois dans une perspective confucéenne, et avec la distance requise par le fait que toute traduction du Chinois à l’Anglais enlève au texte original l’essentiel de sa substance : traduttore, traditore… <http://cmp.hku.hk/2013/02/26/31531/>

31 – Voir les declarations de l’ambassadeur indien aux Nations Unies, Hardeep Singh Puri, lors de l’ouverture de la présidence Indienne du Conseil de Sécurité en Movembre 2012 (minute 31) <http://webtv.un.org/search/hardeep-singh-puri-india-president-of-the-security-council-on-the-programme-of-work-for-the-month-of-november-2012-press-conference/1942375081001?term=Hardeep Singh Puri&sort=date – full-text>

32 – Anne-Marie Slaughter, « Regulating the World, Multilateralism, International Law, and the New Deal Regulatory State », in John Ruggie (ed.), Multilateralism Matters, Columbia University, 1993.

33 – Inis L. Claude, Jr,  Swords into Plowshares, New York, 1956.

34 – John Duffield, « What are International Institutions? », International Studies Review, 9 (1), p. 1-22, 2007.

35 – Joseph Nye, « The Intervention Dilemma », Project Syndicate, June 2008.

36 – Objectifs de Développement du Millénaires après 2015, et la question d’un agenda de développement global après Rio+20. <http://www.un.org/millenniumgoals/beyond2015-overview.shtml>

37 – La campagne de Russie, bien sûr, un acte de folie collective décrit admirablement par Tolstoï dans Guerre et Paix. Un passage, notamment, qui relate la noyade de dizaines de hussards qui avaient souhaité impressionner l’empereur en passant une rivière à gué, est d’un réalisme cruel et saisissant.

38 – Dominique Moïsi, La Géopolitique de l’émotion, Paris, 2008.

39 – Samuel Huntington, « The Clash of Civilizations », Foreign Affairs, 1993.

40 – Le libéral Francis Fukuyama se réfère au concept hégélien de « Kampf um Anerkennung », le combat pour la reconnaissance, comme une des forces premières du développement humain. Cf. F. Fukuyama, The End of History and the Last Man, New-York, 1992.

41 – Comme il l’a été précisé plus haut, la carène ne peut-être conçue comme reposant sur une surface conceptuelle plane, mais doit être pensée comme un élément cyclique dont le caractère dynamique est constitutif de l’existence. L’apesanteur conceptuelle est donc l’environnement naturel de la carène, et la perception de son centre comme étant le « haut » conceptuel d’une structure qui serait alors logiquement pyramidale est purement arbitraire. Il est possible de placer l’individu au centre de la carène, et le général en sa périphérie, selon l’approche conceptuelle choisie.

42 – Debt and Deleveraging, Uneven Progress on the Path to Growth, Mac Kinsey Global Institute, Janvier 2012. <http://www.mckinsey.com/insights/global_capital_markets/uneven_progress_on_the_path_to_growth>

43 – Pour n’en citer que deux parmi les plus marquants : Reinhardt and Rogoff, This Time is Different: A Panoramic View of Eight Centuries of Financial Crises, Princeton, 2008 ; et Philip Cogan, Paper Promises, Money, Debt and the New World Order, London, 2012.

44 – Keynes, The General Theory of Employment, Interest and Money, London, 1936.

45 – Bounded Rationality. Cf. Oliver Williamson, The Economic Institutions of Capitalism, 1985.

46 – Voir le rapport controversé de Terra Nova sur le sujet : Gauche : Quelle majorité électorale pour 2012, mai 2011.

47 – La question du chômage se pose d’une façon différente aux États-Unis, qui ne sera pas explorée ici.

48 – FMI, Direction of Trade Economic Data, 2012.

49 – ll s’agit là de la thèse des théoriciens de la dépendance. Cf. Immanuel Wallerstein, The Capitalist World Economy, 1977.

50 – C’est-à-dire relative à sa propre richesse.

51 – Kenneth Waltz, Theory of International Politics, New-York, 1979 ; I. Wallerstein, op. cit.

52 – Étienne Balibar, Nous, Citoyens d’Europe, les Frontières, l’État, le Peuple, 2001.

Alexis Lefranc

Alexis Lefranc a grandi à Paris et à Londres. Éducateur de profession, il a vécu plusieurs années en Chine puis au Moyen-Orient, et longuement séjourné en Allemagne, en Russie, au Mexique, en Inde et en Australie. Il est diplômé en Relations Internationales et spécialiste du Développement Durable.