Deux élections municipales ont lieu ou ont eu lieu récemment en Europe : aux Pays-Bas le 19 mars et en France, les 23 et 29 mars 2014. Le parallélisme des résultats de ces élections est riche d’enseignements : socialistes et sociaux-démocrates, au pouvoir, perdent des électeurs traditionnels tandis que le centre-droit chrétien-démocrate et conservateur (UMP en France, CDA aux Pays-Bas) engrange des gains qui peuvent être importants quantitativement (en France, avec plus de 150 villes de plus de 9 000 habitants qui basculent à droite), mais sans convaincre, et que l’extrême droite progresse nettement (en France, elle remporte 10 villes et fait élire plus de 1200 conseillers municipaux, contre 80 en 2008). Des résultats qui résonnent comme un avertissement, à deux mois des élections européennes.
Une gauche sans projet, une droite sans idées, une extrême-droite sans barrage
Si la situation politique des Pays-Bas et de la France est différente (alliance libéraux/sociaux-démocrates aux Pays-Bas, gouvernement de gauche en France ; rôle plus important des libéraux aux Pays-Bas ; modèle républicain et bipolaire en France contre modèle des polders et des communautés aux Pays-Bas), les réformes suivent la même direction (réforme du marché du travail, coupes budgétaires, hausse des impôts). Les résultats semblent dramatiquement similaires : un vote sanction à l’égard de la politique gouvernementale, notamment de la part d’électeurs de gauche. Ainsi, il est possible de comparer les résultats électoraux à Marseille et Rotterdam, deux bastions populaires, et traditionnellement ouverts aux influences multiculturelles et aux échanges internationaux : une droite qui se maintient (même si, à Marseille, l’assise de Jean-Paul Gaudin, maire depuis 1995, est forte), une gauche ici socialiste, là-bas sociale-démocrate qui s’écroule et une droite extrémiste qui crée la surprise, remportant même à Marseille une marie de secteur.
Il est frappant de voir combien ces deux élections se ressemblent. Mais comparaison n’est pas raison : des facteurs spécifiques à la France (multiplication des affaires, absence de leader à droite) et aux Pays-Bas (taux d’endettement privé très élevé, coupes budgétaires très visibles) ou des particularités locales (à Grenoble ou Bordeaux, en France) doivent être également avancés pour une analyse rigoureuse des résultats. Le rapprochement de ces résultats n’est pas non plus de nature à exempter de toute responsabilité les vaincus du scrutin.
Toutefois, il est possible de tirer des conclusions communes : Premières victimes de ces scrutins, les sociaux-démocrates néerlandais et français souffrent pour la première fois, depuis leur grand succès de 2012. Faisant face au mécontentement de leurs électeurs à l’égard des partis de gouvernement en général et à leur égard en particulier, et faute d’un véritable projet transformateur, ou faute d’avoir fait preuve d’une pédagogie efficace des réformes qu’ils mettent en place, ils voient leurs électeurs les désavouer.
La droite, bien que divisée entre chrétiens-démocrates conservateurs (UMP en France, CDA aux Pays-Bas) et libéraux (MoDem/UDI en France ; VVD aux Pays-Bas) et bien que ne portant pas d’idées nouvelles, reste forte et engrange des gains remarquables. Les électeurs conservateurs français et néerlandais se sont mobilisés.
Face à ces grands partis en perte de vitesse, l’extrême droite joue le rôle de l’outsider et de la victime du système politique. En portant un message anti-immigration, anti-européen, anti-partis traditionnels et anti-impôts, elle arrive non seulement à s’imposer sur les préoccupations actuelles des électeurs mais également à assimiler la droite et la gauche dans un même ensemble, pour mieux s’en démarquer. En France, l’extrême-droite progresse nettement dans le Sud-Est, à l’Est et au Nord, mais également dans les petites villes où le taux de chômage est élevé. Ainsi, au niveau politique, elle reste sans barrage sérieux, sans opposition claire. De manière surprenante, tant aux Pays-Bas qu’en France, ce sont les milieux intellectuels et artistiques qui ont permis cette expression : le journaliste de RTL Pieter Klein prenant la plume contre Geert Wilders et le dramaturge Olivier Py avertissant sur la menace d’un maire FN pour le festival d’Avignon.
En France comme aux Pays-Bas, les partis écologistes et à la gauche de la gauche progressent, mais faiblement : dans les deux pays, les Verts gagnent des conseillers municipaux (et même la mairie de Grenoble) et l’extrême gauche fait de très bons scores aux Pays-Bas. En France, c’est moins clair : si la gauche de la gauche (PG, PCF, NPA) perd ne conforte pas ses scores de 2012, elle reste présente dans un certain nombre de communes.
Le premier parti de France et des Pays-Bas reste toutefois l’abstention, historique en France pour un scrutin municipal. Les abstentionnistes portent des messages clairs : fatigue démocratique, territoires en récession, défiance généralisée, volonté de sanction.
Un sérieux avertissement pour les européennes
Ces élections municipales doivent servir de sérieux avertissement pour toutes les forces politiques européennes.
A l’extrême-droite, il semble clair que les Pays-Bas et la France (avec l’Autriche) constituent des têtes de pont : dans ces deux pays, tout (l’idéologie, la personnalité, les programmes) rapproche les dirigeants de l’extrême-droite qui se sont déjà mis d’accord pour constituer un groupe politique au Parlement européen, en cas de victoire aux élections européennes. Ce sont dans ces deux pays que les gains attendus sont les plus grands. Au-delà de ces deux pays, l’extrême-droite semble avoir le vent en poupe pour les élections européennes, posant ainsi un défi considérable aux partis de gouvernement.
A droite, les partis conservateurs devront limiter l’attrait de certains de leurs électeurs vers l’extrême droite populiste. Ils devront pour cela élaborer des projets nouveaux, qui puissent répondre point par point aux discours de cette nouvelle droite extrémiste. Cette dernière pose un véritable défi structurel à la droite de gouvernement, qui semble profondément divisée : d’un côté, une tentation de chasser sur les terres de l’extrême droite et de l’autre, une aile plus libérale, voire centriste, qui s’y refuse. Tout comme les sociaux-démocrates, ils traversent également une crise idéologique.
Mais le défi est surtout immense pour les socialistes et sociaux-démocrates européens : si ces derniers sont incapables d’expliquer leurs réformes, qu’ils soit au pouvoir seuls ou en alliance au niveau national, s’ ils ne parviennent pas à articuler leur projet européen et leurs politiques, au niveau national et européen, ils en paieront le prix dans les urnes (en France, l’hypothèse de voir le PS finir 4e devient crédible). Aux Pays-Bas comme en France, les partis sociaux-démocrates et socialistes ont élaboré leurs listes pour les élections européennes dans la douleur.
Dans ces deux pays, les sociaux-démocrates sont aujourd’hui sur la défensive. Il leur faudra rattraper des sièges aux élections européennes perdus en 2009 au profit des Verts. Il leur faudra répondre à la colère de leurs électeurs traditionnels. Mais les partis sociaux-démocrates doivent non seulement répondre aux attentes de leurs électeurs perdus, mais ils doivent également s’opposer frontalement à la menace de l’extrême droite européenne. Pour cela et pour faire baisser l’abstention, il leur faut mobiliser leurs militants, leurs réseaux, et proposer des politiques et des messages clairs et cohérents par rapport aux idées et aux intérêts qu’ils portent ; faire une campagne véritablement européenne.
Tribune publiée sur Le Monde.fr, le 1er avril 2014.