Africa Paradis de Sylvestre Amoussou

paradis_artificielAfrica Paradis (2007) de Sylvestre Amoussou

États-Unis d’Afrique, 2033.

À l’Assemblée, le président du Parti libéral africain soulève un véritable tollé en présentant un projet de loi pour l’intégration des immigrés sur le continent africain. Il poursuit cependant : « mon parti estime que les immigrés travaillant dans notre pays depuis plus de cinq ans devraient pouvoir obtenir la nationalité africaine s’ils en font la demande. De plus, ils devraient pouvoir accéder à des emplois autres que subalternes. » La réponse du chef du Parti patriotique radical africain est cinglante : « L’Afrique aux Africains ! » La foule des parlementaires l’acclame.

L’Europe – car elle n’a pas réussi son unification – est devenue un continent sous-développé, ravagé par des luttes intestines, des épidémies et des famines. Les coups d’Etat y sont monnaie courante. Le Vatican est une dictature protestante, l’Angleterre est devenue une colonie du Guatemala, et la France est à présent totalement sous-développée, avec en prime la prolifération de la violence, un chômage de masse et des conditions économiques épouvantables.

Ce sont clairement le manque de solidarité entre Européens et leur incapacité à s’unir qui sont montrés du doigt. À l’inverse, le continent africain est parvenu à faire son unification et a connu en quelques décennies seulement une expansion formidable, devenant grâce à cela un leader économique mondial. Le dirigeant du parti libéral le rappelle : aujourd’hui, en Afrique, chaque Etat possède son propre gouvernement, mais surtout, au-dessus, il y a la présidence de tout le continent. Il n’en a pas toujours été ainsi et c’est seulement en surmontant leurs querelles et leurs différences que les Africains sont parvenus à cette unification.

Mais forcément, cette réussite suscite chez les Européens l’espoir et le désir ; et ces derniers émigrent en masse vers l’Afrique, au grand dam des Africains… Ainsi, à Paris, on se presse à l’ambassade de la République africaine pour obtenir un visa. Mais les gardes s’empressent alors de fermer les grilles au nez de ces indésirables. À partir de là, le film montre, par un retournement de situation tragi-comique, le difficile parcours des Européens pour immigrer – et d’autant plus quand ils empruntent la voie légale –, leurs tentatives désespérées pour rejoindre le continent africain, puis toutes les difficultés auxquelles ils doivent faire face une fois arrivés là-bas.

L’Afrique refuse en effet d’accueillir un immigré qui représente une charge potentielle pour le continent ou un immigré dont les qualifications ne correspondent pas à ce qui est recherché. À l’ambassade, on refoule ainsi un jeune couple pourtant formé d’un ingénieur, Olivier, et de sa compagne enseignante, Pauline, avec pour seule explication : « nos quotas sont dépassés, désolé. » Seuls des emplois de maçons, d’éboueurs et d’employés de maison sont proposés aux Européens, à qui on fait bien sentir qu’ils sont en position de faiblesse et qu’on se passerait aisément d’eux. Ainsi, lorsqu’Olivier interroge : « Est-ce qu’un jour on pourrait avoir besoin de nous ? », on lui rétorque : « Besoin, besoin… On a des écoles d’ingénieur très pointues en Afrique, vous savez. » Et certaines répliques ont une résonnance étrangement familière à nos oreilles : « L’Afrique ne peut pas accueillir tous les déshérités de la terre ! »

D’ailleurs, le message est assez clair : le film est un véritable plaidoyer en faveur du droit des immigrés et de la tolérance, même si à travers son manichéisme, l’ironie pointe aussi souvent, soulignée par le leitmotiv de cette petite musique lancinante qui scande en arrière plan : « Africa, Africa… Paradis. »

Comme les Africains qui rêvent d’Europe dans le monde où nous vivons aujourd’hui et se font parfois de belles illusions, le jeune couple de Français se laisse séduire par une annonce alléchante d’un passeur clandestin intitulée « Départ pour l’avenir ». Cependant, une fois sur place, les Européens sont souvent bien déçus. Car en effet, tous les clichés racistes qui nous sont régulièrement donnés à entendre à l’égard des Africains sont ici transposés à l’encontre des Européens et dès l’arrivée à la frontière, c’est pour eux une douche froide : les gardes côté leur tirent dessus puis les emmènent de force dans un « centre de transit » (un doux euphémisme pour « centre de détention ») avant qu’on décide de leur expulsion. Et cependant, ils rêvent toujours : « on est en Afrique et on va tout faire pour y rester. »

Mais le réalisateur pousse la logique jusqu’au bout et nous dévoile les affres de la vie d’immigré clandestin une fois ces premières épreuves surmontés. Ainsi, aux Etats-Unis d’Afrique, le racisme est érigé en outil de propagande politique et le chef du Parti patriotique radical africain se permet même de dire, avec l’assentiment d’une majorité, que « deux blancs, même trois ne vaudront jamais un Noir. » On nous renvoie alors ici à la figure l’image d’un Européen feignant et irresponsable, aussi voleur dès qu’il en a l’occasion. La majorité des citoyens Africains ne comprend d’ailleurs pas non plus que l’immigration puisse être autre chose qu’une charge : on rit au nez de celui qui prétend que l’Afrique a besoin des immigrés.

Le film a beau être assez manichéen, avec d’un côté les « méchants » politiciens africains, sortes d’avatars lepénistes (en pire), et de l’autre, des « gentils » qui tentent de se battre pour les droits des Européens, il n’en touche pas moins une corde sensible, d’autant plus qu’il est sorti lors de la campagne présidentielle de 2007. La perspective adoptée est originale et le film arrive tout de même à faire rire, malgré la gravité des sujets abordés (les délits de facies, les difficultés pour les immigrés à trouver un emploi ou un logement, le racisme ambiant, etc.).

Mais au-delà, il s’agit surtout d’une belle leçon pour nous, Européens. La surenchère xénophobe et anti-migratoire n’aidera sûrement pas les Européens à sortir de leurs difficultés et le repli sur soi ainsi que le rejet de l’autre est dans le film la première des causes du déclin de l’Europe. L’identité européenne ne se construira pas contre la figure de l’autre, car sinon, elle ne sera jamais !

 

* La bande-annonce du film Africa Paradis.

* Sylestre Amoussou (1964) est de nationalité béninoise et vit aujourd’hui en France. Ayant débuté comme acteur, c’est le nombre limité d’offre de rôle pour des acteurs noirs qu’il l’a incité à devenir réalisateur de cinéma. C’est aussi cela qui le poussera à réaliser Africa Paradis (sorti en 2007) au sujet duquel il a déclaré que « dans ce film, on voit enfin les Européens vivre… en fait… un tout petit peu ce que peut vivre un immigré quand il vient en France. »

Mélinda Murail