Sardines

L’Italie, submergée par des bancs de Sardines 

L’instabilité politique fait désormais partie du quotidien des Italiens. Si aujourd’hui, plus personne ne s’étonne des 21 gouvernements qui se sont succédés au cours des 30 dernières années, l’année 2019 aura particulièrement marqué les esprits. Sortant les députés de la torpeur du mois d’août, Matteo Salvini, alors ministre de l’Intérieur et à la tête de la Ligue du Nord, précipite l’Italie dans la crise. En déposant une motion contre le chef du gouvernement, Giuseppe Conte, il acte la rupture avec le Mouvement 5 étoiles avec lequel il s’était allié l’année précédente. L’objectif était alors d’accélérer l’organisation d’élections anticipées, que M. Salvini pensait pouvoir remporter haut la main puisqu’il caracolait en tête des sondages.

C’était sans compter les efforts de Matteo Renzi, qui a su convaincre Nicola Zingaretti, secrétaire du Parti démocrate, de mener des discussions avec le Mouvement 5 Etoiles dans le but de créer une nouvelle coalition, sans passer par la case élections et prendre ainsi le risque de perdre face à Salvini. Si ce rebondissement vient contrecarrer les plans de ce dernier, il reste aujourd’hui l’homme politique préféré des Italiens, qui semblent considérer qu’après des années d’immobilisme, il serait le seul à même de répondre à leurs besoins.

Par ailleurs, l’alliance entre le Parti Démocrate et le Mouvement 5 étoiles est loin d’être une évidence. Lorsque le PD était au pouvoir, pas un jour ne passait sans que Luigi Di Maio ne critique haut et fort l’action du gouvernement. Les deux partis ont une vision radicalement différente de la manière de faire de la politique et semblent être en désaccord sur la majorité des sujets – place de l’Italie au sein de l’Union européenne, loi travail, politique migratoire, environnementale, etc. Seule la peur d’avoir à faire face à Matteo Salvini lors de prochaines élections semble avoir rassemblé ces deux partis qui pourtant avaient juré ne jamais travailler ensemble.

S’il nous faut nous réjouir de ce coup porté à l’extrême droite, ainsi renvoyée sur les bancs de l’opposition, il convient malgré tout de rester extrêmement vigilant et espérer que le gouvernement actuel sera capable d’apporter des solutions innovantes et concrètes et ainsi d’emporter un vote d’adhésion lors des prochaines élections. Car Matteo Salvini prend son mal en patience et semble déjà avoir établi une stratégie lui permettant de prendre le pouvoir sans avoir à le partager. La preuve en est que lors des premières élections régionales qui ont suivi la formation du nouveau gouvernement, la Ligue du Nord a fait tomber un bastion jusqu’ici incontesté de la gauche, l’Ombrie. La région a changé de camp ce 27 octobre, accordant une large victoire à la candidate soutenue par Salvini et par la même une claque électorale au nouveau gouvernement.

Depuis, Salvini bat campagne, parcourant toute l’Italie et s’efforçant de rappeler à tout un chacun que s’il a perdu la bataille dans les palais du pouvoir, c’est loin d’être le cas au sein de la société.  Il espère ainsi parachever la dédiabolisation de son parti en affichant un visage plus respectable afin de rassurer l’électorat italien.

Certains électeurs en revanche ne semblent pas succomber à la supercherie. En effet, une nouvelle forme de mobilisation est apparue ces derniers jours en Italie. Quatre amis trentenaires ont su mobiliser le 14 novembre dernier plus de 15000 personnes qui se sont réunies sur la grande place de Bologne pour manifester contre Matteo Salvini qui venait soutenir la candidate de la Ligue du Nord aux élections en Emilie-Romagne. Ce rassemblement était inédit tant par sa nature, à l’initiative de quatre individus apolitiques, que par le succès retentissant de l’opération. En effet, manifester est loin d’être une habitude chez nos voisins transalpins. La population semblait jusqu’à présent relativement apathique face aux alternances successives et sa seule réponse se manifestait alors par un désintérêt progressif envers la politique plutôt que de descendre dans la rue. Plus surprenant encore, le mouvement a su s’organiser. Adoptant le nom de « Sardines », ses participants ont su se rallier autour d’un manifeste et fédérer l’enthousiasme de centaines de milliers de personnes. Depuis, le mouvement a pris de l’ampleur, et de nombreuses Sardines se sont rassemblées pour occuper les places publiques de nombreuses villes. Une grande mobilisation est attendue courant décembre à Rome. L’objectif est de montrer que le dirigeant de la Ligue n’est pas le seul capable de mobiliser les foules. Le mouvement semble même faire des émules à l’étranger. New York, Paris, Londres, chaque capitale a droit à son groupe de Sardines qui se mobilisent par le biais des réseaux sociaux. Si l’on en croit la page Facebook officielle du Mouvement 6000 Sardines, plus d’une quarantaine de rassemblements devraient avoir lieu d’ici la fin du mois de décembre dans toute l’Italie et à l’étranger.

Véritable alternative populaire au Salvinisme ou simple feu de paille ? L’avenir du mouvement est encore incertain. Mais il est fort probable que la seule force à même de contrer la montée de l’extrême droite en Italie ne soit plus les partis traditionnels de gauche mais bien les contestations populaires. A l’heure où la classe politique a perdu une grande partie de sa crédibilité auprès de l’électorat, c’est à nous, citoyens, qu’il revient de clamer nos valeurs sociales afin d’endiguer la vague populiste en Europe. Les sardines, en banc, font preuve de cohésion. Reste à savoir si elles seront suffisamment nombreuses pour terrasser pour de bon Matteo Salvini. Comme l’indique le manifeste des Sardines, « il est clair que penser est ennuyeux, même si celui qui pense est muet comme un poisson. D’ailleurs, celui qui pense est un poisson. Et en tant que poisson, il est difficile à bloquer, car la mer le protège. Nous sommes les sardines, et maintenant vous nous trouverez partout. Bienvenue en pleine mer. »

 

 

 

 

Benoit Malmontet