Référendum sur le « Brexit » en 2017. Ce que le référendum de 1975 nous apprend

À mesure que les élections générales se rapprochent en Grande-Bretagne, la question du maintien de celle-ci au sein de l’Union européenne (UE) devient un sujet prégnant. David Cameron a effectivement promis, si celui-ci obtient la majorité à la Chambre des Communes le 7 mai 2015, d’organiser un referendum sur le « Brexit » – la sortie de la Grande-Bretagne de l’UE – avant fin 2017. D’aucuns estiment même que celui-ci pourrait être organisé courant 2016 (1).

Quoi qu’il en soit, si un tel référendum avait lieu dans les années à venir, ce ne serait pas une situation inédite. Certains se souviennent peut-être que deux ans après son adhésion à la Communauté économique européenne (CEE), le gouvernement travailliste de l’époque demandait déjà à ses électeurs de se prononcer sur la question. Alors que l’on commence à penser à l’organisation d’un referendum sur le « Brexit », les similitudes entre le contexte d’organisation de ces deux referendums sont troublantes mais surtout enrichissantes.

Le référendum sur le « Brexit ». Un enjeu clef des élections générales de mai prochain

Il n’est pas rare de lire ces derniers temps dans des journaux britanniques qui font autorité – tels que le Financial Times ou The Guardian – que les élections générales de mai prochain figurent parmi les élections les plus incertaines qu’ait connues la Grande-Bretagne depuis la fin de la seconde guerre mondiale (2).

Les enquêtes d’opinion concernant les résultats des élections législatives laissent quelque peu pantois. La question de savoir qui du Parti travailliste ou du Parti conservateur l’emportera le soir du 7 mai est loin d’être tranchée. Depuis juillet 2013, l’écart entre le soutien apporté au Parti travailliste et celui apporté au Parti conservateur ne cesse de se réduire. À cette date, le Parti travailliste rassemblait des soutiens bien plus importants que le Parti conservateur. Aux vues d’enquêtes d’opinion réalisées en ce début d’année 2015, les deux grands partis politiques britanniques seraient maintenant au coude à coude.

Le Parti libéral-démocrate de Nick Clegg – parti formant le gouvernement de coalition actuel avec le Parti conservateur – semble quant à lui s’effondrer. Son manque de crédibilité auprès des électeurs est dû à son passage au gouvernement et aux concessions accordées à David Cameron concernant notamment la hausse des frais de scolarité. Il semblerait, en revanche, que les élections de 2015 représentent une opportunité pour les Verts et les Indépendantistes écossais (SNP), mais plus encore pour UKIP, le parti de Nigel Farage, qui mobiliserait de plus en plus d’électeurs.

soutiens partis politiques britanniquesCourbe rouge : évolution du soutien accordé au parti Travailliste depuis juillet 2011 ; courbe bleue : évolution du soutien accordé au parti Conservateur depuis juillet 2011 ; courbe orange : évolution du soutien accordé au parti Libéral-Démocrate depuis juillet 2011 ; courbe violette : évolution du soutien accordé au parti UKIP depuis avril 2013 ; courbe verte : évolution du soutien accordé aux Verts depuis juillet 2013

(Source : www.may2015.com)

Le modèle bipartisan habituellement en vigueur à Westminster est mis à mal. L’émergence du multipartisme en Grande-Bretagne rend de plus en plus envisageable la possibilité d’un nouveau « Hung Parliament » : l’absence de majorité absolue détenue par un parti à la Chambre des Communes. Le système politique britannique semblerait donc à nouveau se diriger vers un gouvernement de coalition chaperonné par le Parti travailliste ou par le Parti conservateur.

Bien que l’issue du scrutin soit pour le moment incertaine, nombreux sont les partis politiques qui souhaitent, quoi qu’il advienne, l’organisation d’un referendum sur l’adhésion de la Grande-Bretagne à l’UE. David Cameron, mis en difficulté par l’aile droite de son parti, s’est ainsi engagé dès 2013 à organiser un référendum sur la question avant fin 2017. En ce qui concerne UKIP, parti vainqueur des élections européennes de 2014, celui-ci appelle également de ses vœux l’organisation d’un tel referendum dès 2015.

L’éventualité de voir se profiler une telle consultation est un sujet d’autant plus prégnant que cette question n’est pas uniquement accaparée par les partis situés à la droite de l’échiquier politique. En effet, il semblerait que la moitié du « shadow cabinet » – le gouvernement d’opposition constitué par le parti travailliste – soit en faveur de l’organisation d’un referendum sur le maintien de la Grande Bretagne dans l’Union.

Quoi qu’il en soit, cela ne signifie pas que la Grande-Bretagne quitterait à coup sûr l’UE. Compte tenu du sentiment europhile qui, quoi qu’on en dise, est fort au sein de l’opinion publique, ce scénario est même peu vraisemblable (3). Ceci est d’autant moins envisageable qu’en 1975 les Britanniques étaient plus de 67% à vouloir rester dans la CEE. Bien qu’un peu mis de côté, le référendum de 1975 n’est pas à négliger pour comprendre les réels enjeux du scrutin de 2017.

Regards croisés. Ce que le référendum de 1975 peut nous apprendre

En 1975, deux ans après l’intégration retardée du Royaume-Uni à la CEE, le gouvernement Wilson appelait les électeurs à se prononcer sur le maintien du pays dans la Communauté. Malgré les quatre décennies qui séparent cette consultation populaire de celle de 2017, leurs ressemblances sont manifestes.

La décision d’organiser un referendum sur la question du « Brexit » intervient, en 1974 tout comme en 2015, dans un contexte gouvernemental fragile de « Hung Parliament » et fait irruption en des temps mouvementés de campagne électorale. Alors que l’incapacité d’un parti à détenir une majorité absolue à la Chambre des Communes ne s’est produite que deux fois depuis 1945, cette instabilité est apparue à ces deux moments charnières.

En dépit de la fragilité du gouvernement à l’origine du référendum, la question de la sortie de la Grande-Bretagne de l’UE a été systématiquement le cœur de discours électoraux précédant les référendums en question. Le manifeste du parti travailliste de Wilson promettait alors que les Britanniques choisiraient « par la voie des urnes » de rester ou non dans l’Europe. David Cameron fait, quant à lui, régulièrement référence lors de ses allocutions à la question du « Brexit », celle-ci devenant ainsi un élément majeur de sa stratégie de réélection.

En 1974 tout comme en 2015, le parti au pouvoir se positionne officiellement pour le maintien de la Grande-Bretagne au sein de l’Union. Aussi étonnant que cela puisse paraître, dans ces deux cas précis le parti politique à l’origine du référendum ne souhaite pas publiquement le retrait du pays de l’Union. Pour autant ces deux gouvernements exigent une redéfinition des termes de l’intégration européenne. De même que Wilson estimait que les conditions de l’adhésion à la CEE devaient être remises en question et non pas l’intégration elle-même, David Cameron voudrait renégocier les tenants et les aboutissants de cette intégration et ne plaide pas pour un « Brexit ».

C’est ainsi que ce dernier a présenté, lors d’une interview donnée au Sunday Telegraph le 15 mars 2014 (4), sept réformes concernant les modalités d’appartenance du pays à l’UE. Le Premier ministre préconise ainsi de façon générale d’éloigner certains pouvoirs du joug de Bruxelles au profit des États. Dans le même ordre d’esprit, Cameron souhaiterait permettre aux parlements nationaux de bloquer de concert des directives européennes. En matière économique, Cameron désirerait renforcer les liens commerciaux de l’UE avec l’Amérique du Nord et l’Asie, et voudrait que de nouvelles mesures soient prises concernant les migrations extra-européennes en cas de nouvel élargissement. De plus, il souhaiterait à l’avenir que les institutions européennes ne s’immiscent pas dans le système juridique britannique, faisant explicitement allusion à la Cour européenne des droits de l’homme avec laquelle il entretient quelques différends.

De surcroît, en 1974 tout comme en 2015, le parti politique instigateur du référendum est profondément divisé sur la question européenne. À l’issue des élections générales de 1974, la division est tellement prononcée entre les partisans et les détracteurs de l’Union qu’Harold Wilson autorise les membres de son propre gouvernement à s’opposer publiquement. Le principe constitutionnel de solidarité gouvernementale est suspendu, une première.

Au sein du gouvernement conduit par David Cameron, presque un tiers des ministres – neuf sur trente et un – voteraient pour la sortie du pays de l’UE (5). Cependant, contrairement à Wilson, Cameron a fait expressément savoir que les ministres qui militeraient pour une sortie de l’UE seraient sommés de quitter le gouvernement (6). Cette division gouvernementale reflète la cacophonie qui règne au sein du Parti conservateur sur la question. De même que l’aile droite du Parti conservateur pousse le premier ministre sur sa droite, les récents succès électoraux de UKIP l’entraînent aussi dans cette direction. Le Parti conservateur actuel ne sait où donner de la tête, tiraillé par les vents eurosceptiques qui soufflent sur le pays.

Que retenir de la comparaison de ces deux référendums ?

Aux vues de ces conditions d’organisation analogues, ce type de scrutin semble avoir lieu à des moments spécifiques, à savoir en temps de campagne électorale et lorsque le parti à l’origine du referendum est partagé sur la question. La comparaison des consultations de 1975 et de celle qui pourrait avoir lieu en 2017 dépeint également l’évolution de la gauche travailliste vis-à-vis de l’Europe et pose la question de la fonction de l’utilisation du referendum dans un tel contexte. Malgré les ressemblances énoncées ci-dessus, un fait demeure intriguant : les couleurs politiques des partis instigateurs des référendums sont opposées.

Alors que dans les années 1970 la frange la plus eurosceptique de la scène politique se situait à gauche, en 2015 elle est sans conteste à droite. Ainsi, en quarante ans, les positions tenues par les deux grands partis britanniques vis-à-vis de la question européenne se sont donc complétement renversées. L’inversion de la polarité anti-européenne s’opère à la fin des années 1980. La politique menée par Margaret Thatcher en est en grande partie l’origine. La menace capitaliste que représentait l’Europe devient désormais l’apanage du gouvernement conservateur. Alors que ce dernier rejette le chapitre social du Traité de Maastricht, c’est au nom de la dimension sociale de la CEE que la conversion européenne des travaillistes s’effectue (7).

En outre, la nouvelle défaite de la gauche aux élections générales de 1987 entraîne un renouvellement du parti qui, sous la direction de Neil Kinnock, préfère dans un premier temps éviter la question de l’appartenance britannique à l’UE pour adopter ensuite une attitude plus favorable. Le glissement vers la droite que connaît alors le courant travailliste marginalise les eurosceptiques présents au sein de l’aile gauche du parti. Deux années plus tard, lors des élections européennes de 1989, les Travaillistes devancent pour la toute première fois les Conservateurs dans ce type de scrutin. Ces élections renforcent donc la tendance désormais pro-européenne du parti travailliste, d’autant plus que les Conservateurs deviennent à leur tour divisés sur la question.

Les référendums de 1975 et de 2017 se rejoignent également concernant les motivations politiques qui les sous-tendent. Ces consultations populaires sont utilisées dans un contexte de scission éventuelle du parti politique qui en est à l’origine et questionnent par là même la fonction stratégique qu’occupe un referendum lors d’un tel moment de division. Dans ces deux cadres particuliers, le referendum semble être davantage utilisé comme une stratégie politique d’unification d’un parti profondément divisé qu’en tant qu’outil de consultation des électeurs sur la question européenne. Lors du référendum de 1975, le Parti travailliste était tellement divisé sur la question européenne que les ministres du gouvernement Wilson furent autorisés à faire campagne sur des positions différentes. En 2015, près d’un tiers des ministres du gouvernement Cameron ne sont pas en accord avec la politique officielle du parti.

La réponse donnée par le peuple souverain ne pouvant être que légitime et donc incontestable, l’organisation de ces deux référendums peut être considérée comme un calcul politique pour apaiser les divisions internes d’un parti. La question stricto sensu du maintien de la Grande-Bretagne au sein de l’UE serait donc perçue comme accessoire par David Cameron aux vues des dissensions politiques que le referendum de 2017 pourrait clarifier et résoudre. En revanche, même si l’outil référendaire peut-être utile à Cameron pour apaiser les tensions au sein de son parti, proposer l’organisation d’un tel scrutin est assez dangereux quand on sait que certains mouvements populistes surfent sur les problèmes économiques et identitaires que connaît la Grande-Bretagne actuellement.

 

Notes

1 – Andy Carlin, « Brexit in 2016? », NewEurope, 10 février 2015.

2 – Toby Helm, « 2015 general election could be the most unpredictable vote in living memory », The Guardian, 27 décembre 2014.

3 – Vincent Collen et Jean-Philippe Lacour, « Ça se passe en Europe : les Britanniques n’ont jamais été aussi pro-européens », Les Échos, 23 octobre 2014.

4 – Tim Ross, « David Cameron: my seven targets for a new EU », The Telegraph, 15 mars 2014.

5 – « Le référendum sur un Brexit pourrait avoir lieu dès 2016 », Courrier International, 5 janvier 2015.

6 – Rosa Prince, « David Cameron: a Conservative government could hold EU referendum before 2017 », The Telegraph, 4 janvier 2015.

7 – Julian Mischi, « Les mobilisations eurosceptiques au Royaume-Uni : une continuité historique ? », Critique internationale, n°32, Juillet-Septembre 2006, pp. 79-101, spec. p. 90.

Julie Wable

Étudiante en master Affaires européennes à Sciences Po Lille et diplômée de l'Université du Kent à Canterbury en science politique et Relations Internationales.