Quelles justifications pour une fiscalité européenne ? Une analyse construite autour de deux exemples : la taxe carbone et l’impôt européen sur le revenu

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« Et de l’union des libertés dans la fraternité des peuples naîtra la sympathie des âmes, germe de cet immense avenir où commencera pour le genre humain la vie universelle et que l’on appellera la paix de l’Europe. »

Victor Hugo, Choses Vues.

 

Il peut paraître poncif de citer, certains diront une fois de plus, Victor Hugo au début d’un texte sur les débats européens. Cela possède néanmoins deux avantages : rafraîchir notre mémoire sur la plus grande victoire de l’Europe – la paix et l’amitié entre des démocraties – et caractériser en filigrane les enjeux de l’Europe de demain. En effet, une fois ce but premier atteint, une fois cet idéal rejoint, quels sont les combats que doit porter le rêve européen ? Ou même, comment faire revivre cet appel à l’amitié entre les populations dans l’Europe en proie aux nationalismes ?

Il ne sera pas question dans cet article de caractériser de nouveau le rêve européen mais de montrer in concreto comment une mesure pratique peut rapprocher les peuples européens et comment elle peut s’avérer être un outil pratique pour faire face aux enjeux qui traversent l’Union européenne.

La première partie se concentrera sur la nécessité d’une politique budgétaire différente pour l’Union européenne. Différente sous deux aspects en particulier : sa centralisation et ses moyens. C’est à partir de ce constat d’un changement nécessaire qu’il faudra, dans un deuxième temps, étudier la pertinence d’une fiscalité européenne et les conditions dans lesquelles elle devrait s’inscrire. Enfin, il faudra détailler deux propositions de fiscalité européenne et comparer leurs avantages et leurs défauts. Il s’agit de la taxe environnementale et de l’impôt sur le revenu européen.

 

Vers une articulation de politiques monétaire et budgétaire fortes

Le problème de la coordination des politiques économiques se pose à deux niveaux : celui des politiques budgétaires nationales entre elles et celui de leur articulation avec la politique monétaire.

Dans le premier cas, le besoin de coordination est fonction de l’ampleur et du sens des externalités qu’elles engendrent sur les partenaires. La politique budgétaire, dans la mesure où elle comporte une part importante d’investissements, peut avoir deux effets sur l’activité. Elle exerce une externalité positive dans le sens où elle augmente la demande des partenaires, mais aussi une externalité négative par la hausse des taux d’intérêt de l’ensemble de la zone économique concernée. Si les effets positifs l’emportent, la non-coordination des politiques budgétaires conduira à des politiques trop restrictives. Si les effets négatifs prennent le dessus, les politiques budgétaires seront trop expansionnistes puisque les gouvernements nationaux sous-estimeront le coût effectif pour l’Union d’une relance budgétaire effectuée au niveau national.

Quant à la politique monétaire, le policy-mix n’est possible au niveau européen que si les politiques sont coordonnées entre Banque centrale et Commission européenne ou Parlement européen. Il s’agit alors d’avoir une égalité de moyen et une même homogénéité dans les objectifs entre les politiques monétaire et budgétaire. Or la politique monétaire de l’Union n’est pas gérée en fonction de la situation particulière d’un État, mais en fonction de la situation de l’ensemble des États. Il serait donc naturel de développer un certain degré de fédéralisme européen pour la politique budgétaire en plus de la centralisation actuelle de la politique monétaire.1

Dans le cadre européen, il semble donc – en première analyse – que les fonctions de stabilisation de l’économie devraient donc être remplies par l’Union européenne plus que par ses États membres. Quant aux prérogatives des gouvernements, elles demeurent dans la distribution de biens et services dont les consommations sont localisées. À cet égard, la fourniture de biens publics correspond aux préférences respectives des administrés en matière de coûts des installations, de capacités contributives et de demandes de biens publics. Pour cela, cette activité ne doit pas être centralisée à l’échelle européen, à part pour les biens publics dont la fourniture aurait une pertinence au niveau fédéral.

Par ailleurs, dans la littérature économique, il semble apparaître une équivalence entre le fédéralisme politique et institutionnel et la coordination des politiques économiques.

La coordination des politiques économiques peut ouvrir un éventail très large de possibilités, depuis la coordination la plus simple où les États se content de s’informer les uns les autres de leurs politiques nationales jusqu’à la centralisation la plus importante. Il n’est pas dans l’objet de cet article de débattre en détail de la forme la plus idoine. Il faut se contenter de souligner que la principale qualité de cette coordination doit être sa rapidité d’adaptation et sa liberté d’action. Cette coordination a également besoin de disposer d’une relative indépendance vis-à-vis des rouages électoraux et administratifs qui caractérisent les relations inter-gouvernements. Ce point est d’une extrême importance puisque s’il est pertinent pour l’application de la politique de l’Union européenne, il l‘est tout autant pour la conception de ses ressources financières.

L’acception qui a été retenue jusqu’ici et qui le sera jusqu’à la fin de l’article va au delà de la simple information mutuelle des partenaires européens et reste en deçà du point limite de la coordination qui est la politique européenne pure. Elle passe par le financement de projets propres à l’Union, par la mise en place de services publics européens, par la concrétisation d’une volonté politique européenne, mais ne se résume pas en la simple mise en commun de politiques nationales, ni en des entités nationales subsumées à l’autorité communautaire.

L’actualité des derniers mois souligne de manière douloureuse le besoin de coordination des politiques économiques européennes. Il semble alors utile d’explorer le champ du fédéralisme. En effet, une manière d’arriver à une coordination efficiente est de créer des institutions supranationales. Il apparaît ainsi l’idée d’un fédéralisme budgétaire puis fiscal. Celles-ci n’auraient de sens que dans un contexte plus large d’une fédération européenne.

Les deux arguments d’équilibre entre les politiques monétaire et budgétaire, d’une part, et la nécessaire coordination des politiques budgétaires entre elles, d’autre part, sont parfaitement illustrés par les deux aspects suivants : la stabilisation des chocs symétriques et asymétriques et la redistribution du revenu.

En premier lieu, se pose la question de la flexibilité verticale dans la politique budgétaire. La flexibilité verticale renvoie à la réponse appropriée d’une économie face à un choc symétrique qui touche toutes les régions de la fédération de la même manière. En principe, la politique monétaire pourrait répondre à un tel choc par une baisse des taux d’intérêt afin de stimuler la demande. En second lieu, le recours à la flexibilité horizontale et à la politique budgétaire est nécessaire lorsqu’une fédération est touchée par un choc asymétrique. Dans ce cas, la politique monétaire, désormais unifiée, ne peut être utilisée pour stimuler la demande locale et éviter ainsi une concurrence délétère entre États. Les budgets régionaux peuvent générer une demande additionnelle et les politiques budgétaires discriminatoires peuvent avoir des effets de distorsion sur l’offre. Une certaine forme de coordination horizontale de la politique économique est, par conséquent, souhaitable.

Il n’y a pas de politique budgétaire sans un budget digne de ce nom

Les considérations liées aux politiques européennes tout comme aux réponses à amener aux différents chocs poussent à plaider en faveur d’une augmentation du budget européen.

Il est difficilement concevable de mener des politiques européennes plus idoines et ambitieuses et de mieux répondre aux chocs qui touchent l’économie sans repenser le budget fédéral. Ainsi Jacques Delors écrivait-il dès 1989 que « la taille du budget communautaire est clairement trop modeste pour fournir une marge de manœuvre suffisante pour une politique budgétaire efficace. Par conséquent, dans une UEM [Union économique et monétaire], on ne peut mettre en place une politique budgétaire d’ensemble appropriée sans empiéter sur l’autonomie des situations budgétaires nationales. »

La nécessité d’un budget européen digne de ce nom apparaît clairement, mais des écueils jalonnent la route vers l’efficience et l’acceptation par tous les citoyens européens d un tel budget. Il y en a trois principaux.

En premier lieu, le niveau de recettes issues de la nouvelle source de financement doit atteindre une taille critique pour être en mesure de développer des projets d’envergure et ne pas se contenter de financer les frais de structure d’une administration. Il est à ce sujet important de noter que l’administration européenne est déjà suffisamment contestée pour son manque d’action inversement proportionnelle à son aptitude à pondre des rapports sans lendemain. En outre,  les structures relatives à la collecte de la nouvelle source de revenus doivent être les plus efficientes possibles. Enfin, cette source de revenus doit permettre de créer un lien direct du citoyen à l’organe de gouvernance de l’Union européenne, lien qui manque cruellement aujourd’hui.

Si la nouvelle solution ne satisfait pas à ces trois critères, l’Union européenne est condamnée à rester cette structure opaque, technocratique et soumise à la pression des plus grands, premiers apporteurs des financements existant. À l’aune de ces trois aspects majeurs, il convient maintenant de discuter de la pertinence d’une fiscalité européenne.

Il faut comprendre, maintenant, les avantages comparés d’une fiscalité européenne en termes d’efficience par rapport à une augmentation des participations étatiques au budget européen, qui est actuellement sa principale source de financement (près des trois-quarts du budget). Le mouvement actuel de décentralisation et de « l’Europe des régions » auquel on assiste, ainsi que l’augmentation du budget européen, ne peuvent voir le jour sans un contrôle strict des deniers publics.

L’intérêt de la politique fiscale à un niveau décentralisé paraît double. Il permet d’avoir des acteurs politiques plus responsables puisque le poids de leur politique pèse – via les contraintes budgétaires renforcées – directement sur ces administrés. Et par ailleurs, il permet une meilleure prise en compte des désirs des habitants. L’Union européenne doit se munir des procédures et des institutions adéquates pour promouvoir une discipline fiscale et des décisions budgétaires efficaces. Il est primordial que les gouvernements des États ou des régions soient, par exemple, contraints dans leur utilisation des dettes publiques, car trop souvent les décideurs politiques repoussent dans le temps les coûts de leur politique et donc tendent à les faire peser sur les générations futures ou à en faire porter les conséquences à l’ensemble de la région. Les cas actuels de la mutualisation des dettes grecques, irlandaises ou espagnoles et de l’impossibilité pour un État de faire défaut à moins de plonger la zone européenne dans une crise fatale peuvent en être une illustration.

Des ressources propres comme facteur d’émancipation et de fortification de la politique budgétaire

L’Union européenne doit avoir recours à de véritables ressources propres. Ces ressources doivent rester relativement stables sur le moyen ou long terme et ne doivent pas avoir de liens ni même de relations avec le rapport de force des différents gouvernements. La solution qui apparaît la plus pertinente est donc la naissance d’un impôt européen pour donner à l’Union la capacité de mener des politiques communes et de fournir des biens et services collectifs.

L’impôt européen à créer ne doit pas venir alourdir la charge pesant sur les contribuables. Dans la forme à définir de l’impôt, les États membres seraient, selon la vision de Stefan Collignon reprise ici, « dispensés de financer par des contributions nationales le budget de l’Union ou les politiques dont la compétence aura été transférée » et pourront, par conséquent, « alléger d’autant – voire davantage, si l’on suppose l’existence d’économies d’échelle-, les prélèvements nationaux. » Il y aurait donc un gain certain au fédéralisme budgétaire tant celui-ci semble réduire les coûts engendrés par les collectivités.

Néanmoins, celui-ci est hypothéqué à l’existence d’externalités positives au regroupement de certaines finances publiques et donc à l’existence in fine de biens publics européens qui doivent être produits par cet impôt. La défense européenne ou les lignes de transport à grande vitesse au niveau continental sont souvent donnés comme exemples.

Au-delà du simple aspect de l’efficacité, il est nécessaire de mesurer la pertinence de l’idée d’une fiscalité européenne à partir de son pouvoir de renforcer le sentiment de citoyenneté européenne. L’Union européenne pâtit en effet d’une image délabrée auprès des populations : au mieux elle provoque l’indifférence par son manque de pouvoir, au pire elle apparaît comme une puissance technocratique engluée dans des débats qui peuvent paraître annexes et pour lesquels ses positions paraissent arbitraires et dictatoriales.

Les tentatives de créer un lien entre les citoyens et l’institution se sont le plus souvent soldées par un échec cuisant, quel que soit leur niveau. Ainsi, les élections européennes n’intéressent que peu les électeurs et leurs représentants. Est-il besoin de prendre l’exemple de Rachida Dati honnissant ses déplacements à Strasbourg?

Les débats majeurs sur la structure et le fonctionnement de l’institution comme celui, douloureux, au sujet de la Constitution, sont occultés par contextes politiques nationaux et biaisés par un aspect rebutant de l’institution et de ses principales composantes, accusées – et des fois à raison – d’ultralibéralisme. Même, au niveau des symboles, qui a été pendant des années la raison des sentiments bienveillants envers l’Union européenne de la part des populations, il semble y avoir de plus en plus de lacunes : qui peut dire quel jour a lieu la fête de l’Europe ? Il en va de même pour la connaissance des autres membres de l’Union.

La fiscalité peut tout à fait contribuer à créer un lien entre le citoyen et l’institution européenne. En effet, il y a deux manières principales de se sentir impliqué au quotidien dans un projet. La première est d’être acteur dans le processus, ce qui, pour l’Union européenne, est réservé aux députés, aux membres des gouvernements et aux personnes qui travaillent dans les différents organes tels que la Commission européenne par exemple.

La deuxième est d’y contribuer financièrement directement. C’est sous ce deuxième aspect qu’une fiscalité européenne se trouve pertinente. L’Union européenne gagnerait de manière importante en légitimité si les citoyens acceptaient de lui payer directement leur dîme. Les citoyens se trouveront alors plus enclins à discuter des sujets de pertinence et d’orientations des choix politiques opérées par l’Union européenne du moment où c’est explicitement leur argent qui sert à appliquer les décisions.

Cela peut paraître contre-intuitif au regard de l’histoire fiscale. L’impôt a, en effet, commencé par être un instrument de pouvoir avant d’être une ressource en vue d’une politique publique. Dans la monarchie française, la fiscalité était le moyen pour le roi d’assujettir ses compatriotes en court-circuitant le niveau des seigneurs locaux. Mais, dans le cas de l’Union européenne, la fiscalité s’inscrit dans une démarche plus globale qui doit mener à l’établissement d’une relation directe de droits et de devoirs mutuels entre les citoyens et l’institution européenne.

La création d’une Cour de justice de l’Union européenne à laquelle peut faire appel tout citoyen des pays membres (sous réserve de conditions de recevabilité de leur requête) et le référendum d’initiative populaire sont deux autres aspects de ce mouvement essentiel.

Cependant, le revers de la médaille peut être l’émergence de tribunes populistes qui, en sus des thèmes récurrents de l’ouverture néfaste des frontières ou du non-respect des activités traditionnelles de chacun des pays, joueront sur le thème de la fiscalité européenne jugée alors probablement excessive, voire spoliatrice.

Deux formes de fiscalité communautaire passées au crible : la taxe carbone et l’impôt européen sur le revenus

Il existe plusieurs critères à la mise en place d’une taxation au niveau européen. Celle ci doit répondre à des critères budgétaires, d’efficacité et d’équité.

D’après l’article de Philippe Cattoir, « Tax-based EU own ressources: An assessment » de 2004, trois mesures fiscales passent le test du critère budgétaire – c’est à dire qu’ils couvrent à long terme les dépenses de l’Union – et répondent ainsi pleinement au besoin de la communauté : une TVA européenne, une taxe sur les valeurs énergétiques et l’impôt sur le revenu.

Il faut maintenant s’intéresser à l’efficacité d’une taxe. Pour être efficace, elle se doit d’être visible et compréhensible et ses coûts d’utilisation doivent être faibles. Elle doit être facile à contrôler et à récolter, tout comme elle doit mener à une allocation efficace des ressources en Europe. Beaucoup de taxes sont facilement compréhensibles, c’est le cas tout particulièrement de l’impôt sur le revenu ou de la TVA. Par contre, une taxe sur les transactions financières manque de visibilité.

En général, les coûts de mise en œuvre de la taxe et ses frais de fonctionnement ne sont pas des problèmes insurmontables. Dans certains cas, il peut exister un dilemme entre des coûts de perception très faibles et une haute visibilité.
Par ailleurs, les taxes peuvent permettre une meilleure allocation des ressources. Ainsi l’impôt sur le revenu, la taxe sur l’énergie ou taxe sur le transport aérien peuvent aider la mise en place de politiques européennes. Ceci est dû aux nombreuses externalités observées dans ces domaines et aux problématiques de la redistribution dans le cas de la fiscalité sur le revenu. Dans la plupart, des autres cas les taxes apparaissent plus comme un moyen de percevoir de fonds que comme un instrument aux services des politiques communautaires.

Il est important de noter d’emblée que probablement aucune forme de fiscalité européenne ne satisfait l’ensemble des critères de pertinence. Trois néanmoins semblent réunir un nombre conséquent d’avantages : la TVA, la taxation environnementale concernant entreprises et particuliers, et l’impôt sur le revenu.

Dans cet article, seules deux solutions seront examinées en profondeur, à savoir la taxation environnementale et l’impôt sur le revenu. La TVA sera laissée de côté car, même si elle répond à de nombreux objectifs (pérennité et importance de la ressource, égalité a priori de traitement entre les citoyens…), elle n’est pas associée, contrairement aux deux autres formes de fiscalité, à l’un des deux grands aspects qui paraissent incontournables aujourd’hui : la protection de l’environnement et la recherche de l’équité sociale par la redistribution.

La taxe carbone européenne

En ce qui concerne la taxe carbone, l’objet de ce texte n’est pas de faire le résumé de toute la littérature dont elle est le sujet. Il faut se contenter de mesurer l’adéquation de cette solution avec les critères de pertinence évoqués ci-dessus.

Le tout premier point est un aspect négatif. Plus haut, il a été évoqué l’importance du lien direct, fort et constant, que doit créer la nouvelle forme de fiscalité européenne. La taxe à naître doit y trouver sa légitimité. Comment alors la taxe carbone, dont l’objectif premier est de lutter contre les émissions polluantes et non pas de développer des politiques européennes et dont l’assiette est vouée à disparaître du fait des effets incitatifs, pourrait-elle nouer ce lien entre Union européenne et citoyen?

Il semblerait a priori que l’Union européenne n’ait rien à gagner de cette taxe sur le plan de la visibilité. Mais, en représentant la première réalisation communautaire de grande ampleur en matière de fiscalité et en incarnant l’aboutissement concret de l’accord des membres sur un problème aussi important que le réchauffement climatique, la taxe carbone apportera une réelle légitimité fonctionnelle à l’Union européenne. L’institution démontrera alors son implication au plus près du citoyen dans la lutte contre la pollution au dioxyde de carbone.

D’un point de vue de la visibilité, la taxe carbone bénéficie du focus médiatique concernant la problématique environnementale. La lisibilité de la base de calcul d’une telle taxe est certes tout à fait critiquable et dépend d’ailleurs de la forme définitive qu’elle prendrait. Il n’en reste pas moins que le citoyen est aujourd’hui continuellement sensibilisé sur le fait que la production de carbone est, en soi, une caractéristique tangible et donc taxable. Il en résulte donc que la taxe carbone ne sera probablement pas lisible dans son calcul, mais au moins dans sa finalité.

Un autre critère est celui de l’équité. À partir du moment où la taxe environnementale est calculée sur la production de carbone nécessaire à la réalisation d’un bien ou d’un service, il n’est plus question de conceptions des bases taxables différentes entre les pays.

Par ailleurs, un autre critère de jugement utilisé dans un rapport de la commission sur les nouvelles sources de revenus de l’Union européenne2 était l’internationalité de la base taxable. Il s’agit de démontrer que les ressources dégagées par la nouvelle taxe n’ont pas plus de raison de revenir à l’Union européenne qu’aux États. De ce point de vue, la taxe carbone est tout à fait défendable car aucun des pays ne peut se prévaloir d’être propriétaire du carbone dans l’atmosphère et donc ne peut arguer d’un décalage entre le caractère national du bien et la dimension européenne de sa taxe. Cela est d’autant plus justifié que les politiques de lutte contre le réchauffement climatique doivent avoir lieu à grande échelle. Elles se doivent d’être transnationales et en priorité européennes. En effet, il faut développer des projets de taille européenne qui permettent de réduire notre production de dioxyde de carbone. Par exemple, nous évoquions plus haut des projets d’infrastructure propres à dimension européenne comme les lignes continentales de chemins de fer.

Enfin, il faut absolument éviter une concurrence entre pays et un décalage de taxation entre pays d’une même zone de libre-échange qui provoquerait une délocalisation des industries polluantes. Ce risque de délocalisation ne concerne pas toutes les industries les plus polluantes. La rentabilité d’un déménagement d’activité ne se justifiera probablement pas pour l’industrie de matériaux à faible valeur ajoutée (métallurgie par exemple) du fait des coûts de transport élevés et des marges faibles.

Le problème majeur de la taxation environnementale demeure sa mise en pratique. La définition de la base imposable – quantité de carbone produite lors du processus de fabrication – ainsi que le caractère universel et fiable de son estimation sont des problèmes dont les solutions sont encore en débat. Il est à noter que des efforts dans le sens d’une harmonisation ont été faits ces dernières années avec l’émergence de normes ISO. Mais la question est encore loin d’être résolue. Des contrôles fréquents et des études onéreuses seraient nécessaires. La taxation environnementale serait alors loin d’être optimale au vu du critère d’efficience. Par ailleurs, le problème de la taxe aux frontières pour les produits importés est un problème à part entière.

L’impôt européen sur le revenu

L’idée d’utiliser un impôt sur le revenu pour financer de manière presque absolue le budget n’est pas nouvelle. L’idée est séduisante sur plusieurs aspects.

Elle mettrait fin aux distorsions – de taux et de bases – entre les différentes taxes existantes au niveau européen et ce d’autant plus que les coûts de mise en œuvre des fiscalités et les distorsions peuvent être importantes même si la compétition entre les administrations peut tirer vers le bas de tels coûts.

Pour éliminer ces problèmes, un impôt européen sur le revenu ne poserait pas de problèmes sur le plan de l’équité horizontale entre les pays d’autant plus que beaucoup de firmes européennes sont clairement internationales. Qui plus est, le coût d’administration d’une telle taxe au niveau européen est assez faible. Celui-ci serait d’autant plus faible si la Commission décidait d’harmoniser les taux de taxes des différents pays européens. L’acceptation politique d’une telle taxe est surement plus grande que pour les autres fiscalités candidates à une harmonisation européenne. Néanmoins, il ne faut pas oublier les difficultés pratiques d’un tel exercice. Il paraît difficile d’harmoniser les taux et les bases de chaque pays pour un tel impôt. Tous les pays ne taxent pas la même chose. Les revenus de l’épargne et du capital sont pris en considération dans certains impôts alors que d’autres considèrent les revenus des patrimoines et que la plupart se concentrent uniquement sur les revenus du travail.

Outre cette différence de base imposable, taxer à X % un travailleur gagnant Y euros dans l’un des pays les plus pauvres de l’Union européenne n’est pas la même chose que taxer aux mêmes X % un travailleur qui gagne la même somme mais dans un autre pays de l’Union européenne. Considérer l’imposition de cette manière stricte revient à rompre l’équité horizontale puisque deux citoyens européens dans des situations très différentes sont considérés de la même manière. Il faudrait ainsi moduler les seuils de taxation selon les richesses relatives qui peuvent être mesurées en parité de pouvoir d’achat (PPA) par exemple.

Afin d’éviter ces écueils, il faut donc acter plusieurs principes. Premièrement ce qui suit concerne prioritairement des conceptions « idéal types » qui mériteraient d’être raffinées avant toute implication concrète. Afin d’éviter des coûts bureaucratiques importants, il faut considérer les bases imposables telles qu’elles existent actuellement et ne plaider pour leur harmonisation – au moins dans un premier temps – qu’à minima. Troisièmement, au lieu d’accéder à une impossible harmonisation en un coup, il convient d’utiliser une méthode incrémentale et de poser un calendrier d’harmonisation des taux des impôts selon des critères prédéfinis : taux de chômages, niveau de vie calculé en parité de pouvoir d’achat, incidence fiscale, etc.

Par ailleurs, passer à un système de taxe européenne va inévitablement poser un problème sur les balances budgétaires. Beaucoup de taxes dépendent de la conjoncture et c’est le cas notamment de l’impôt sur le revenu qui est particulièrement volatil.

Par ailleurs passer à un système fiscal européen prive les gouvernements nationaux de ressources. La souveraineté nationale en est réduite d’autant puisque toute une partie du choix des instruments fiscaux s’effectuera à un niveau européen. Il faut que le transfert de compétence fiscale se double d’un transfert sur les questions prises en charge au niveau européen, sans quoi les gouvernements nationaux augmenteront d’autres impôts.

Afin de réduire les problèmes énoncés ci-dessus, il serait possible de prendre en compte une harmonisation de l’impôt sur les sociétés. Les problèmes de bases fiscales et niveaux de vie ne se posent en effet pas de la même manière. Néanmoins,la question de la différence de niveau de vie n’est pas non plus totalement absente puisque certaines entreprises souffriront peut être de cette harmonisation qui augmentera leur taux d’imposition qui était maintenu volontairement très bas pour permettre le développement de l’économie.

Toutes les questions de concurrence fiscale sont, ici, sous-jacentes et il faudrait un nouvel article pour les étudier dans le détail. Le grand désavantage, à nos yeux, de l’impôt sur les sociétés est qu’il ne possède pas les qualités de « cristalliseur » de la conscience européenne que peut revêtir l’impôt sur le revenu et qu’il ne permet pas une redistribution volontariste et efficace.

Tirer les enseignements normatifs de la théorie du fédéralisme fiscal : pour la centralisation des politiques de redistribution

L’avantage autre de l’impôt sur le revenu est qu’il permet des logiques de redistribution qui sont absentes des autres systèmes de fiscalité. Face à ce constat, l’objectif de l’article est de comprendre les enseignements normatifs de la théorie du fédéralisme fiscal qui prône globalement la conduite des politiques de redistribution de richesses au niveau central de gouvernement.

Il est possible de justifier la centralisation des politiques de redistribution au nom de deux motifs : l’efficacité et l’équité. Ainsi la mobilité des agents peut en effet conduire à une ségrégation des acteurs entre juridictions qui se révèle sous-optimale. Les plus riches rejoignent les localités où l’offre de redistribution est la plus faible, les plus pauvres se regroupant là où une politique de redistribution leur est plus favorable. Une politique de redistribution décentralisée entraînerait une forme particulière de sélection adverse : les acteurs pauvres, à condition d’être mobiles, sont attirés, alors que les ménages les plus riches s’excluent. Une politique de redistribution centralisée atténue donc en grande partie cette contrainte puisque la mobilité des ménages se réduit en fonction de la taille de la juridiction.

Une politique de redistribution décentralisée, sous l’hypothèse de mobilité totale des acteurs, est accompagnée d’effets externes. Le coût global de la politique de redistribution pour une région devient ainsi beaucoup plus important si l’on considère le fait que des transferts redistributifs vers les individus les plus pauvres entraînent des migrations supplémentaires. La région internalise donc ces coûts et augmente sa contribution au programme de redistribution. Elle ignore cependant la réduction des contraintes redistributives induites par ces transferts qui pèsent sur les autres régions. Ce soulagement financier pour les autres régions peut être considéré comme un effet externe positif, qui n’est pas internalisé. David Wildasin, dans un article fondateur de 1994, « Income Redistribution and Migration within Federations » (Canadian Journal of Economics, vol. 27, p. 637-656), en conclut donc qu’une politique de redistribution décentralisée conduit à une situation qui est socialement inefficiente et propose une intervention de l’autorité centrale qui vise à internaliser ces externalités fiscales associées à la mobilité de la population par la mise en place de transferts inter-régionaux.

Il existe, d’autre part, une justification de la centralisation des politiques de redistribution au nom de l’équité. Cette justification en termes d’équité fiscale prime sous hypothèse d’immobilité de la population. Elle repose sur l’observation de bénéfices fiscaux différents selon la richesse des régions pour l’offre de biens et services publics. Une conséquence de cette situation conduit à l’accentuation des disparités dans l’offre de biens publics qui est inégale entre les territoires. Le traitement égal des différentes populations n’est donc plus de vigueur. C’est pour cela qu’il est possible de plaider pour un mécanisme qui permet aux différents États de fournir les mêmes types de services tout en ayant les mêmes taux de fiscalité et ce malgré les différences de richesses de ces pays. Ces transferts devraient être d’ailleurs conduits par le gouvernement central pour éviter un accroissement des disparités et des comportements de type « passager clandestin ». Cette justification constitue d’ailleurs une assise fondamentale pour de nombreux pays de type fédéral. D’autre part, les gouvernements des provinces, agissant de manière indépendante et maximisant leur intérêt propre, sont incités par leur population à prendre des décisions en termes de redistribution qui se révèlent inéquitables d’un point de vue national : une prise en charge de cette compétence par l’échelon central s’avère alors indispensable.

Conclusion

Pour conclure, l’Union européenne et en particulier la zone Euro, est aujourd’hui une structure déséquilibrée.

Son bras droit – la politique monétaire – est fort, alors que son bras gauche – la politique budgétaire – malingre et ses doigts – les politiques nationales – non coordonnées.

La mise en place d’une source de revenus conséquents, stables et non reliées aux aléas électoraux serait un adjuvant conséquent dans le rééquilibrage de cette Union et une ouverture vers la voie du fédéralisme. La taxe européenne, sous une forme qui répondrait à un certain nombre de critères, pourrait être cette source qui manque, cruellement, aujourd’hui. Plus particulièrement, deux formes concrètes, la taxe carbone et l’impôt sur le revenu européen, semblent pertinentes.

Forts de ce constat, l’Europe et ses citoyens doivent s’attaquer à deux problématiques majeures. La première est de remettre à plat la structure du budget européen, de réfléchir à une allocation optimale des fonds permettant de répondre mieux aux attentes des citoyens. Le deuxième point est de trouver une manière de mettre en place ces fiscalités européennes malgré les difficultés de lisibilité des voies législatives européennes et le problème des champs de compétence. Une solution pour échapper au couperet de l’unanimité nécessaire à l’application de la fiscalité serait de faire passer par exemple la taxe carbone sur la base légale de l’environnement qui ne demande que la majorité qualifiée. Il restera toujours in fine à nous, citoyens européens, à nous mobiliser pour défendre notre idée d’une Union européenne enfin forte et à la hauteur des attentes et surtout des défis de notre siècle.

Notes

1 – Cf. Arthur Colin, Le fédéralisme budgétaire, compagnon oublié du fédéralisme monétaire : une fiscalité européenne pour une Commission politiquement responsable devant le Parlement, EuroCité, 30 juin 2010.

2 – Commission européenne, Le financement de l’Union européenne. Rapport de la Commission sur le fonctionnement du système des ressources propres, 7 octobre 1998.

3 – Cf. Nicolas Leron, Pierre-Henri Najar et Clément Weber, « Pour une taxe carbone européenne socialement juste« , Commission Europe de la section PS du XIe arrondissement de Paris, 23 mai 2010.

 

(Illustration photo : Images_of_Money / Flickr.com / Licence Creative Commons)

Pierre-Henri Najar