Le Kosovo et l’Europe. Les défis d’EULEX

Le contexte

Le Kosovo a fait partie de l’Empire ottoman pendant près de cinq siècles, jusqu’à la Déclaration d’indépendance de l’Albanie le 28 novembre 1912, laquelle incluait également le territoire du Kosovo (1). La conférence des Ambassadeurs, tenue à Londres sur la reconfiguration des Balkans après la Première Guerre (2), rattache le Kosovo à la Serbie (3).

La République socialiste fédérative yougoslave fut créée le 29 novembre 1943 et était constituée de six républiques (Bosnie Herzégovine, Croatie, Macédoine, Monténégro, Serbie, Slovénie) et des deux régions rattachées à la Serbie (Kosovo et Voïvodine). Les Albanais du Kosovo étaient considérés comme une minorité, et par conséquent n’avaient pas le droit à l’autodétermination, bien qu’ils fussent le troisième groupe ethnique par ordre d’importance numérique (4). Depuis son rattachement à la Serbie, la région du Kosovo a vécu une succession de politiques libérales et autoritaires, lesquelles allèrent en s’empirant à partir de l’arrivée au pouvoir de Slobodan Milošević. L’autonomie du Kosovo fut alors supprimée par une série de mesures restrictives (5) donnant naissance à une résistance pacifique dirigée par Ibrahim Rugova (6).

En 1991 la Croatie et la Slovénie proclamèrent leur indépendance. S’ensuivit la guerre de Bosnie-Herzégovine, qui prit fin avec les accords de Dayton de 1995 (7). Les Albanais du Kosovo, dont l’espoir d’obtenir l’indépendance avait commencé à se dessiner au début des années 1990, ont été amèrement déçus par les accords de Dayton qui ne traitaient pas leur cas. En réaction, l’ALK (8) fut fondée et des affrontements s’en suivirent entre forces militaires, paramilitaires et policières yougoslaves et l’ALK entre 1998-1999. Le massacre de Račak du 15 janvier 1999 où 45 civils albanais furent massacrés choqua la communauté internationale (9). L’intervention des pays membres de l’OTAN à travers des bombardements en Serbie et au Kosovo fut lancée le 24 mars 1999, ce qui rendit possible la Déclaration d’indépendance du Kosovo, le 17 février 2008. Pendant la période des bombardements, les forces serbes présentes sur le territoire du Kosovo ont multiplié les actions meurtrières et le déplacement forcé de la population civile (10).

La résolution 1244 des Nations unies du 10 juin 1999 a créé les bases de l’installation d’une mission internationale civile, la MINUK et de sécurité, la KFOR, au Kosovo (11). Nombreux sont les analystes politiques qui ont vu dans l’installation des missions internationales une sorte de tutelle rendant irresponsable la classe politique locale.

La mission européenne EULEX (12) arriva alors et dut dût faire face à de nombreux défis. Cette mission possède une double autorité constituée d’un volet exécutif et d’un autre concernant le suivi, les conseils et les recommandations aux autorités locales (13). En outre, il est important de mettre l’accent sur le fait que cinq des pays membres de l’UE ne reconnaissent encore pas l’État du Kosovo, qui ne peut pas devenir membre des Nations Unies à cause du possible veto de la Russie et de la Chine au Conseil de Sécurité, ce qui rend sa reconnaissance sur la scène internationale difficile (14).

Les défis de la mission

EULEX, une des plus importantes missions civiles européennes, rencontra ses premières difficultés dans la définition de la base juridique de son action. En effet, la mission n’a reçu l’accord des Nations Unies qu’après s’être soumise à la résolution 1244, et est donc neutre vis à vis du statut du pays. La mission était le résultat du Plan élaboré par Martti Ahtisaari, envoyé du Secrétaire Général et ancien président finlandais. Le plan Ahtisaari concluait que l’indépendance du Kosovo était nécessaire mais devait être supervisée par des missions internationales. Lors de l’approbation de la déclaration d’indépendance, le Parlement kosovar avait adopté le plan. La mission civile, qui n’a pas complètement remplacé la MINUK (15), agissait sur la base de deux documents qui ne se correspondaient pas totalement. Une solution fut trouvée en 2012 lorsque la Présidente Atifete Jahjaga dans sa lettre du 4 septembre 2012, a demandé que la mission continue (16) et le 7 septembre, le Parlement a voté la loi portant l’accord international entre l’Union européenne et le Kosovo. Le problème persistant est constitué par le fait que la mission se trouve toujours sous la résolution 1244 de l’ONU devant avoir une approche neutre par rapport au statut du pays (17).

Selon le leader de « Vetevendosje », Albin Kurti (18), le plan d’Ahtissari a créé une décentralisation sur la base ethnique créant une division dans le pays entre les deux ethnies qui doivent travailler ensemble pour le développement du pays. Ce mouvement « Vetevendosje », ou « Autodétermination » est un mouvement né de la révolte contre la situation au Kosovo après l’installation des missions internationales et le manque de souveraineté du pays, par le biais de manifestations, de graffitis à caractère politique, puis par la représentation de leur programme au parlement kosovar.

Ils se considèrent comme appartenant à la famille politique du centre gauche et sont actuellement le troisième parti le plus important dans le pays. Ce mouvement appelle à la création d’un état de développement où la démocratie, le développement économique et une justice bien établie auront comme conséquences naturelles l’instauration à long terme de la paix, la stabilité et la sécurité.

La mission État de droit (EULEX) au Kosovo a été nécessaire et a contribué au processus de consolidation des institutions kosovares de justice, de police et de douanes. Cependant, une transformation de celle-ci est nécessaire aujourd’hui.

De nombreuses critiques ont été émises sur le manque d’initiative dans la chasse aux « gros poissons » de la corruption politique, et la priorité accordée à la stabilité à court terme au aux dépens de la lutte contre la corruption et le crime organisé (19). Andrea Lorenzo Capussela, ancien directeur de l’unité économique du Bureau international civil au Kosovo (20), parle d’un manque de lien effectif entre Bruxelles et EULEX (21) et suggère que le manque de performance de celle-ci ci est dû à la négligence, l’incompétence et la soumission à l’élite politico-économique du pays (22). Dans une interview transmise récemment dans les médias kosovars, il énonce le fait qu’en tant que membre du bord de l’Agence nationale des privatisations, il avait préparé plusieurs dossiers transmis à EULEX jusqu’en 2011, date de la fin de ses fonctions au Kosovo, qui n’ont été suivis d’aucune action de la part de la mission (23). Selon Albin Kurti, cette mission est nécessaire mais doit se reconstruire avec à sa tête des experts compétents dans les domaines qui importent le plus aux Kosovars: l’agriculture, le développement durable et la construction, plutôt que des procureurs et juges disposant d’immunité et de pouvoirs exécutifs démesurés comme c’est le cas actuellement.

Les fondements de la mission sont actuellement secoués par des allégations de corruption provenant d’une des procureurs de la mission, allégations qui sont actuellement soumises à l’examen des autorités compétentes (24).

L’exode

Entre cent et deux cent mille personnes ont quitté le Kosovo à destination des pays de l’Union européenne (UE). Parmi les raisons poussant de nombreux Kosovars à quitter leur pays, les très mauvaises conditions de vie, un manque de perspective de changements dans le futur un avenir proche, la corruption des élites politiques, mais également la grande frustration de ne pas pouvoir circuler librement à l’intérieur de l’UE. Ulpiana Lama, sociologue et professeur d’université, se pose la question de la qualité de la formation de la jeunesse n’ayant pas le droit de circuler librement et d’être en contact avec la culture et les jeunes des autres pays européens.

Le processus d’intégration de la Serbie à l’UE est déjà très avancé, les négociations d’intégration étant ouverts depuis le 21 janvier 2014 après la signature de l’Accord de normalisation des relations. M. Kurti met l’accent sur le fait que les négociations à Bruxelles entre Pristina et Belgrade contribuent à l’intégration de la Serbie au sein de l’UE mais également à l’intérieur de l’État du Kosovo, et se sont déroulées sans conditions préalables pour la Serbie (25).

Le dialogue entre Pristina et Belgrade (26) dont le médiateur est l’UE par le biais de son Haut Représentant a produit le « Premier accord sur les principes dirigeant la normalisation des relations » du 19 avril 2013, lequel prévoit la création d’une association des municipalités à majorité serbe, mais dont les termes restent assez vagues. La Serbie a pu ainsi conclure un accord la rapprochant de l’UE, tout en se gardant de reconnaitre l’indépendance du Kosovo (27). Un des buts de la création de cette association est d’intégrer les structures parallèles établies par la Serbie dans les communes à majorité serbe dans le nord du pays, lesquelles sont désormais démantelées. Lors des élections parlementaires de 2014, une liste appuyée fortement par Belgrade, la liste Srpska, a remporté neuf des dix communes à majorité serbe au Kosovo et est présent au parlement et au gouvernement. Il est difficile de prédire l’attitude de ce groupe parlementaire. Cherchera-t-il la négociation ou le blocage dans l’adoption des réformes nécessaires pour le pays ?

L’UE, à travers du processus de négociation, souhaite devenir un agent stabilisateur dans la région afin de s’imposer comme un acteur important sur la scène internationale, et cherche également à s’assurer que le chemin suivi par la Serbie coïncide avec celui de l’UE.

Mais cela se fait-il dans l’intérêt des populations concernées ?

 

Notes

1 – Le gouvernement nouvellement établi après la Déclaration de l’indépendance incluait également en son sein des représentants du Kosovo.

2 – Dans les années 1912-1913. La Conférence ne tiendra pas compte de la Déclaration d’indépendance de l’Albanie, la considérant comme partie intégrante de l’Empire ottoman.

3 – Le conflit sur le Kosovo est ancien entre Albanais et Serbes. Les derniers s’appuient sur l’existence d’importants sites culturels et religieux et les Albanais sur leur appartenance à ces territoires appuyée par de nombreux arguments historiques, archéologiques, linguistiques.

4 – Michel Roux, Les Albanais en Yougoslavie. Minorité nationale territoire et développement, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 1992.

5 – Fermeture d’institutions, licenciements des Albanais, situation de l’Université de Pristina.

6 – Création de la Ligue démocratique. Après la dissolution du parlement du Kosovo en 1991, un référendum fut organisé et 99% des participants votèrent pour la création d’une république. En 1992, sous l’impulsion d’intellectuels kosovars, de nouvelles élections donnèrent naissance à des institutions parallèles au pouvoir yougoslave. La Ligue démocratique y est alors majoritaire et Ibrahim Rugova est président.

7 – Création d’un système fédéral constitué des Républiques musulmano-croate et Srpska (République serbe de Bosnie-Hérzegovine).

8 – Armée de Libération du Kosovo, qui souhaitait l’indépendance du pays, si nécessaire par les armes.

9 – Jon Silverman, « Racak massacre haunts Milosevic trial », BBC News, 14 février 2002. De nouvelles fosses communes font actuellement surface. Le 22 août 2014, les restes des dépouilles d’un grand nombre d’Albanais du Kosovo ont été rapatriés, suite à des fouilles en Serbie. Eulex travaille avec les autorités locales pour aider au retour des corps et à leur identification. <http://www.eulex-kosovo.eu/en/pressreleases/0636.php>

10 – Albanais de leurs habitations pour créer une homogénéisation de la population serbe au Kosovo

11 – La résolution 1244 se déclare neutre par rapport au statut du pays, envisageant une résolution politique future. La MINUK était chargée d’assurer l’autonomie du Kosovo, et de son administration dans l’attente d’un règlement politique. La KFOR était sous commandement de l’OTAN et devait maintenir le cessez-le-feu, assurer le retrait des troupes yougoslaves, la démilitarisation de l’ALK et le retour des réfugiés.

12 – EULEX (Mission État de Droit au Kosovo) a pour mission d’agir dans le domaine de la justice, des douanes et de la police. Son rôle est de suppléer les instances locales dans les domaines de la justice et la police − en particulier crimes de guerre, crimes graves, corruption, etc.

13 – Le volet exécutif est constitué de compétences d’experts chargés de traiter les cas de crimes graves, de guerre et corruption, mais également du pouvoir d’annuler les décisions prises par les autorités du Kosovo afin de maintenir l’État de droit, la sécurité et l’ordre public.

14 – Élément important à prendre en compte sachant que les décisions concernant la politique étrangère et de sécurité sont prises à l’unanimité.

15 – La MINUK demeure, notamment comme médiatrice du dialogue entre la Serbie et le Kosovo, et pour fournir les documents de voyage des Kosovars à destination des pays qui ne reconnaissent pas le Kosovo. Une partie du personnel de la MINUK est passée à EULEX.

16 – Shpend Kursani, «Analize gjitheperfshirese e Eulexit : Cka me tutje ? », [Analyse globale d’Eulex : et l’après?], Kirped, janvier 2013.

17 – Dans les faits les juges d’EULEX assurent l’application des lois de l’État du Kosovo.

18 – Troisième parti politique au Kosovo prônant une démocratie plus directe et agissant à travers des manifestations, des graffitis de rue mais également au Parlement.

19 – <http://www.balkaninsight.com/en/article/the-rule-of-law-in-kosovo-mission-impossible>

20 – Bureau international civil au Kosovo chargé du suivi de l’application du plan d’Ahtisaari au Kosovo.

21 – Ibid.

22 – <http://www.balcanicaucaso.org/eng/Regions-and-countries/Kosovo/The-EULEX-scandal-perplexing-revelations-perplexing-reactions-156997>

23 – <https://www.youtube.com/watch?v=p7eoyRvUzSc>

24 – <http://www.eulex-kosovo.eu/en/news/000533.php, http://www.theguardian.com/world/2014/nov/06/eu-accused-over-kosovo-mission-failings>

25 – Parmi les éléments mis en avant : la reconnaissance de l’État de Kosovo, restitution des fonds de pension, paiement des dommages de guerre.

26 – Dialogue concentré surtout sur la résolution de la situation au nord du pays. Quatre municipalités y sont à majorité serbe, et la ville de Mitrovica, coupée en deux, a souvent fait l’objet de barrages de la part des serbes du nord, créant une division supplémentaire entre les deux parties. Des barrages existent toujours dans cette ville.

27 – <http://www.kas.de/wf/doc/kas_12788-1442-1-30.pdf?140428121637>

 

(Illustration : Jelena Prtoric / Flickr.com)

Grejs Gjergji

Grejs Gjergji est albanaise et titulaire d'un master en droit européen de l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne. Grejs Gjergji se passionne pour les Relations internationales, et plus particulièrement la situation actuelle dans les Balkans.