Des régions françaises bientôt européennes?

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En faisant passer le nombre de régions de 27 à 18 (13 en métropole), le gouvernement a souhaité donner aux régions françaises une dimension européenne, à l’image des grandes régions que sont la Catalogne, la Lombardie ou la Bavière. Bien qu’en matière de puissance ce ne soit pas la taille qui compte, il est intéressant de se demander dans quelle mesure les régions françaises pourront, dans les 6 années à venir, effectivement être européennes. Plus largement, à l’approche des élections régionales, il est opportun de s’intéresser à l’enjeu européen de ces élections régionales.

Pour aborder cette problématique, le présent article se proposera de faire en premier lieu un point sur l’enjeu financier du rapport des régions françaises à l’Union européenne. En effet, la décision de leur confier la gestion, sur leur territoire, des fonds européens change, on le verra, singulièrement la donne financière de celles-ci (Les fonds européens structurels et d’investissement sont en France au nombre de 4 : FEDER (1), FSE (2), FEADER (3), FEAMP (4) ). Nous nous intéresserons ensuite à la capacité des régions à coopérer entre elles en Europe et nous nous demanderons dans quelle mesure cela contribue à la construction européenne. Enfin, sur la base de ces deux premiers points, nous nous interrogerons pour savoir si, effectivement, les régions françaises ont la capacité d’être fortes au niveau européen et comment faire en sorte que cela soit le cas.

Des enjeux financiers

Promesse du candidat François Hollande, annonce du Premier ministre Jean-Marc Ayrault, le transfert, en France, de la gestion des fonds européens aux Régions a été acté par la loi MAPAM (5). Même si ceux-ci ne sont qu’une partie des moyens d’intervention de l’Union européenne, ils en représentent une partie loin d’être négligeable. On rappellera simplement que le premier budget de l’Union européenne est la politique agricole et que le deuxième, pas très loin derrière, est celui de la politique régionale. C’est ainsi, au sein du cadre financier pluri-annuel de 908 milliards d’euros, que le FEDER pèse 183 milliards, le FSE 86 milliards, le FEADER 85 milliards et le FEAMP 6,5 milliards. Ces fonds représentent donc environ 40% du budget d’intervention de l’Union. Dans tout cela, la France récupère 27 milliards.

Pour les Régions, c’est un élément majeur de leur capacité de soutien et d’investissement. En effet, pour une Région comme la Bretagne, qui dispose d’un budget annuel autour d’un milliard d’euros, les fonds européens en gestion se montent à presque 1 milliard sur la période, c’est-à-dire qu’ils augmentent de 14% les capacités d’intervention de la Région.

Au-delà des fonds européens, les Régions, par leur capacité à avoir une vision stratégique, mais aussi parce qu’elles entretiennent une relation de proximité avec les acteurs économiques de leur territoire, sont à l’articulation des différentes politiques de développement. Au niveau européen, un enjeu majeur sera la capacité à bénéficier des importants programmes que sont Horizon 2020 (pour la recherche et l’innovation), Life+ (pour l’environnement), Europe Creative 2020 (pour la culture)… mais aussi et surtout du soutien majeur de la Banque européenne d’investissement (BEI).

La gestion du FEDER et du FSE par les Régions : au cœur de la mise en œuvre des objectifs Europe 2020

« Pour une croissance intelligente, durable et inclusive ». Telle est l’ambition que la Commission européenne s’est fixée. Cette ambition se décline en 11 objectifs thématiques et trouve le support financier des instruments que sont le FEDER et le FSE.

Comme on l’a vu, les Régions sont les gestionnaires, responsables de la mise en œuvre de ces fonds en France à partir de cette période 2014-2020. Dans les régions françaises, le FEDER est un instrument fort de soutien à la recherche, à l’innovation, à l’entrepeneuriat, à l’investissement productif, au déploiement des ambitions numériques (infra et usage), aux énergies renouvelables, à l’efficacité énergétique et au transport propre. Cette liste n’est pas exhaustive mais montre son rôle.

Avec le développement des stratégies de spécialisation intelligente dans chaque région sous la responsabilité des conseils régionaux, l’Union européenne a placé les régions au cœur de sa stratégie de développement économique. Avec l’effet levier fort propre au FEDER, ce fonds donne les moyens opérationnels aux Régions d’assurer ce rôle. Si la loi NOTRe (6) place institutionnellement les Régions comme pilotes du développement économique, c’est bien la décision du transfert financier qui les place effectivement dans ce rôle.

Avec le FSE, les Régions complètent leur capacité d’intervention dans l’économie en se plaçant comme acteur incontournable de la formation. Il ne s’agit donc pas seulement de créer des emplois, encore faut-il les pourvoir. C’est le rôle du FSE. En finançant à 50% les formations dans les secteurs les plus porteurs et en ciblant le public le plus en besoin, ce fonds place les Régions au cœur du lien entre développement économique et dimension sociale.

Les Régions gèrent le FEADER et en partie le FEAMP

C’est une révolution en soi dans les milieux agricoles et maritimes. Les Régions qui n’étaient jusqu’à présent que des acteurs de second plan aux moyens limités se voient maintenant confier la gestion de fonds fortement dotés. Les Régions passent donc d’acteurs politiques de parole à des acteurs budgétaires incontournables et centraux pour les filières concernées.

Or, l’agriculture et la pêche sont des politiques fortement communautaires ! Les Régions sont donc dans une position de mise en œuvre de politiques européennes qu’elles adaptent sur leur territoire.

Les Régions au point d’articulation entre les fonds et les programmes européens

Étant maintenant bien identifiées par les acteurs de terrain sur leur rapport particulier à l’Europe, les Régions sont fortement sollicitées pour se faire le relais des projets déposés sur des dispositifs en gestion directe de la Commission européenne. Il s’agit principalement des programmes Horizon 2020, Life+, Europe Creative.

La Commission européenne déploie des efforts importants pour communiquer sur la nécessité de créer des synergies entre les FESI et les programmes européens susmentionnés. Il s’agit bien pour elle de maximiser les effets levier consécutifs de la mise en œuvre de son budget. Schématiquement, le parcours pour un laboratoire universitaire peut être le suivant : mener des recherches fondamentales de base soutenues par le FEDER, développer une excellence et porter un projet de coopération soutenu par Horizon 2020, développer des applications innovantes financées par le FEDER, créer une entreprise en étant aidé par le FEDER, embaucher des personnes formées grâce au FSE.

Du fait de leur proximité avec les acteurs et leur lien avec l’Europe, les Régions doivent consacrer des efforts conséquents dans les années qui viennent pour permettre ces synergies. Elles le font déjà en finançant des postes de chargés de mission Europe dans les universités ou dans divers organismes. Elles doivent aussi renforcer leur présence à Bruxelles, pour assurer la veille sur les appels à projets (cela peut aussi être fait en région), mais aussi pour porter à la connaissance de la Commission (qui en est demandeuse) les domaines de développement en cours dans les régions afin d’orienter au mieux les appels à projets. Les Régions ont assurément un rôle central à jouer ici.

Une Europe de la coopération

Les Régions sont engagées, elles-mêmes ou via des acteurs de leur territoire, dans de nombreuses coopérations à l’échelle de l’Europe. C’est, par exemple, le cas des jumelages, très nombreux aujourd’hui en France. Il y a derrière ces coopérations, à commencer par les jumelages, l’esprit de l’Europe des peuples, de l’Europe qui se fait par les citoyens, une Europe qui vit ses différences, qui les partage pour les comprendre.

Il y a dans cette Europe des coopérations le ciment qui a fait défaut dans les moments où l’Europe a sombré dans la barbarie au cours des siècles précédents.

Des relations anciennes à revisiter

La dernière vague de jumelages régionaux date de la chute de l’Union soviétique. Il avait fallu alors que les régions de l’Ouest de l’Europe accompagnent la mise en place de la démocratie locale dans les pays de l’Est. De nombreux échanges de fonctionnaires territoriaux ont eu lieu et, depuis 20 ans, les régions de l’Est se sont construites au point souvent d’être politiquement plus fortes que les régions françaises. Les régions françaises n’ont plus le rôle de tuteurs des régions de l’Europe de l’Est.

Alors doit-on poursuivre ces jumelages en l’état? Si la démocratie locale a avancé dans ces régions, il subsiste un retard de développement réel. Il est donc utile de revisiter les actions de coopération. De coopérations institutionnelles il s’agit bien de les réorienter vers des coopérations économiques. Les entreprises des régions françaises ont un rôle à jouer et des marges de développement à trouver de la sorte. Si les coopérations culturelles et les échanges déjà en place ne doivent pas être oubliés, car ils contribuent à la cohésion européenne, cette approche économique semble opportune. Parce qu’il y a aussi un modèle de développement que nous pouvons soutenir, nous devons aussi en profiter pour proposer des échanges sur le modèle social, allant de pair avec l’approche économique.

Un programme dédié : Interreg

Existant depuis de nombreuses années, Interreg (7) a permis d’accompagner de très nombreux projets de coopération dans les secteurs de l’économie, de la culture, de l’énergie, de l’environnement, de la mer et de la recherche.

Les Régions sont montées en puissance dans leur volonté d’accompagner les porteurs de projets à construire les partenariats. À travers leur représentation à Bruxelles, à travers l’animation sur le territoire et la mutualisation des retours d’expérience, les Régions ont vocation à favoriser ces projets.

Il y a dans Interreg, au-delà d’une manne financière intéressante (et un taux de cofinancement des projets de l’ordre de 70%), l’esprit d’une Europe qui renforce ses liens par des projets concrets impliquant largement la société.

La dernière génération d’Interreg a malheureusement versé presque totalement dans une approche économique. Cette approche est nécessaire, on l’a vu, mais elle ne saurait exclure les projets culturels, or c’est bien ce que l’on peut constater à la lecture des programmes opérationnels des différents espaces concernés par Interreg.

Des Régions acteurs politiques forts au sein de l’Union européenne

Maîtres d’œuvre de la stratégie Europe 2020 en France, les Régions portent donc la responsabilité du succès ou de l’échec de cette stratégie. Il y a donc un rôle nouveau mais crucial pour les Régions françaises dans le spectre institutionnel européen.

Cette position singulière doit amener les Régions à préciser leurs intentions sur un certain nombre de points :

1. Les politiques européennes seront redéfinies en 2020. La réflexion a déjà commencé. Cette période de réflexion et d’adoption des nouvelles politiques s’inscrit dans le mandat des conseils régionaux qui seront élus en décembre. Les équipes qui vont arriver à leur tête ont donc une opportunité de contribuer à cette réflexion. À mon sens, plus qu’une possibilité de contribution, cela me paraît être un devoir d’implication.

Fortes de ce rôle nouveau, les Régions vont développer une compétence importante en matière d’effet levier des politiques européennes. Et fortes de leur rôle stratégique sur leur territoire et de leur proximité avec leurs acteurs, elles portent les messages du terrain sur le développement.
Il sera donc nécessaire pour les Régions d’exprimer clairement dans quelle mesure et par quels moyens l’intervention de l’Union européenne sur les territoires a une valeur ajoutée. Mieux que n’importe quel autre acteur elles sauront et devront dire quel est le moyen le plus efficace de dépenser un euro européen.

2. Le principe de subsidiarité doit être réaffirmé par les Régions. Elles doivent le revendiquer dans l’exercice des compétences qui sont les leurs, mais aussi sur les sujets qui les concernent.

La subsidiarité est un principe fondamental de l’Union européenne. Consistant à affirmer qu’il convient de traiter les questions au niveau le plus pertinent pour leur apporter une réponse, il doit amener les Régions à réfléchir à leur positionnement. Cela est particulièrement vrai dans le domaine économique, on vient de le voir., mais cela est vrai dans beaucoup d’autres domaines. La mise en œuvre des directives communautaires ne doit pas être du seul ressort de l’État, car elles concernent des problématiques souvent territoriales. Ainsi en est-il des directives sur l’eau : directive-cadre sur l’eau, directive nitrates, directive stratégie milieu marin : ces trois exemples ne relèvent pas a priori du cadre réglementaire régional dans notre pays, et pourtant leur bonne mise en œuvre repose sur la bonne implication des acteurs territoriaux que les Régions savent activer. Aussi les Régions doivent-elles s’affirmer comme des acteurs de la mise en œuvre des politiques européennes au-delà de leurs seules compétences. Le fait qu’elles apportent un éclairage d’acteur de terrain suffit à légitimer leur participation aux réflexions européennes.

Alors, l’Europe des régions ?

Le mandat régional 2015-2021, on vient de le voir, peut être un mandat de forte européanisation des régions françaises. Que ce soit par leur taille, argument à mes yeux accessoire, ou par leurs compétences et responsabilités, elles ont une dimension qui les rend crédibles et légitimes à porter une parole. Elles le font déjà à travers des réseaux (Association des Régions d’Europe, Conférence des Régions périphériques maritimes…) ou bien dans l’institution qui leur est dédiée (Comité des Régions).

Cependant, l’orientation libérale de la politique européenne et la façon dont la Commission européenne évolue vers l’affirmation d’une forme de centralisme bruxellois interrogent la place des régions dans l’Europe. La politique de cohésion, ou politique régionale, est sous le feu des critiques. Alors que le silence de Corina Cretu, Commissaire européenne socialiste responsable de cette politique est jusqu’à présent assourdissant sur son avenir, cette politique semble devoir vivre ses derniers jours sous sa forme actuelle. Nombreux (c’est-à-dire des Commissaires « sectoriels » et leurs directions générales) sont ceux qui considèrent qu’ils emploieraient mieux les 350 milliards d’euros s’ils en avaient la charge. Autrement dit, et de façon contradictoire, pourrait être recentralisé à Bruxelles ce qui avait été confié aux Régions parce que justement elles étaient considérées comme le niveau efficace de mise en œuvre de ces politiques. Quel sens, alors, donner à la notion de cohésion économique, sociale et territoriale ?

Il y a donc, pour les Régions, une réelle lutte politique à mener dans les années qui viennent. Une lutte qu’elles devront étayer avec les résultats qu’elles obtiendront si elles veulent continuer à être maîtres d’œuvre des politiques européennes comme elles le sont devenus récemment.

 

Notes

1 – Fonds européen de développement régional.

2 – Fonds social européen.

3 – Fonds européen agricole pour le développement rural.

4 – Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche.

5 – La loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.

6 – Loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

7 – Interreg est un programme européen visant à promouvoir la coopération entre les régions européennes et le développement de solutions communes dans les domaines du développement urbain, rural et côtier, du développement économique et de la gestion de l’environnement. Il est financé par le FEDER à hauteur de 7,75 milliards d’euros. L’actuel programme se dénomme « Interreg V », il couvre la période 2014-2020. (Source : Wikipédia)

 

(Illustration : Clementine Gallot / Flickr.com)

Pierre Karleskind